28 juin 2016

La bataille des idées



  Platier, 28 juin.
A quelque chose malheur est bon. L’Europe occupe la première place dans les médias. Je retrouve l’envie de dénoncer les fausses affirmations qui ont émaillé la campagne Outre-Manche et dont certaines sont reprises dans le débat en France. La plus banale consiste à faire croire que l’UE serait gouvernée par des technocrates non élus et, par conséquent éloignés des préoccupations des citoyens. Laurent Wauquiez pousse la démagogie au point de proposer la suppression de la Commission. D’une part, le rôle de l’instance bruxelloise est de proposer et d’exécuter, les organes de décision législative étant le Conseil (des ministres) et le Parlement. D’autre part, la plupart des commissaires ont été élus mais pas plus que les ministres nationaux ne sont élus pour exercer la fonction ministérielle. La désignation de la Commission est le résultat d’un processus complexe dans lequel s’équilibrent les influences du Parlement et des gouvernements. Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, on n’a pas pris la peine d’expliquer que l’UE n’étant pas un Etat, ne pouvait être gouvernée que par des coalitions. Le reproche fondé que l’on peut faire à la  Commission est de ne pas oser rechercher le soutien de l’opinion dans sa fonction de défense de l’intérêt général de l’Union face aux intérêts particuliers des Etats, alors que ceux-ci l’utilisent comme un commode bouc émissaire.
Mon prochain message portera sur cet autre reproche adressé à l’Europe de se mêler de tout. Reproche en partie fondé mais dont les causes ne sont jamais explicitées.  

24 juin 2016

Regarder la réalité en face. Un échec majeur



Platier, 24 juin.
 Le vote des Britanniques après une campagne qui n’a pas fait honneur à la démocratie est un échec majeur pour tous ceux qui considèrent la construction européenne comme le projet géopolitique le plus significatif après l’ère sinistre des guerres mondiales. Chacun devrait s’interroger sur sa part de responsabilité. La principale est celle de gouvernements qui n’ont pas pris la mesure des souffrances infligées aux catégories populaires par une mondialisation non régulée. Aussitôt après doit être dénoncé le défaut d’explication, le refus d’écrire un récit européen, le défaitisme dans la bataille des idées, une sorte de matérialisme se voulant pragmatique mais incapable de répondre aux aspirations de la jeunesse. On a laissé sans réagir s’imposer l’idée suivant laquelle l’UE souffrirait d’un déficit démocratique sans expliquer que plus de démocratie, c’est-à-dire plus de décisions à la majorité, signifierait moins de souveraineté.
Que faire maintenant ? On aimerait se persuader, avec Michel Rocard, que le départ des Anglais élimine le frein qui entrave l’Europe depuis près d’un demi-siècle et qu’une relance serait possible sur une base éventuellement plus restreinte. Outre le fait que toute l’énergie des gouvernements sera dédiée à la difficile négociation de retrait d’un Royaume désuni, on ne voit pas la France se résigner à de vraies réformes ni l’Allemagne accepter un budget fédéral de relance. On imagine enfin le désastre que serait un projet d’Europe politique excluant les pays d’Europe centrale alors que leur démocratisation et leur intégration étaient, jusqu’à une date récente, le plus grand succès politique dont pouvait se prévaloir l’Europe.

18 juin 2016

Une crise existentielle



            La crise que traverse l’Europe en ce printemps me parait plus grave que celles auxquelles nous étions accoutumés. Jamais le cercle vicieux de l’impuissance et de l’impopularité n’a été aussi évident. Impuissante parce que divisée, comme on l’a vu à propos de la vague migratoire et de l’accueil des réfugiés, l’Europe est devenue impopulaire. Elle se révèle incapable d’organiser la solidarité qui devrait unir les membres d’une Union « sans cesse plus étroite ». Il est significatif que le premier ministre Cameron ait obtenu sans grande difficulté, comme l’une des concessions permettant au Royaume Uni de rester dans l’Union, d’être exonéré de cet objectif. Les deux questions qui dominent l’actualité européenne sont la menace du Brexit (retrait du Royaume-Uni) et la poursuite de la crise migratoire.
            

La menace du Brexit

            L’échéance immédiate est celle du référendum du 23 juin. Je respecte l’avis de ceux qui pensent qu’un départ du Royaume-Uni ôterait un obstacle aux progrès de l’intégration mais je ne le partage pas. La première conséquence d’un succès des brexiters serait un profond ébranlement politique, économique et monétaire. Outre la perte de confiance dans l’avenir de la construction européenne, en Europe mais aussi sur les autres continents, rien ne permet d’espérer la constitution d’un front uni dans la négociation des conditions de la sortie et du statut qui pourrait être consenti à la Grande-Bretagne. On peut prévoir que la Commission se montrerait ferme afin de décourager d’autres tentations. Mais serait-elle soutenue par des gouvernements dont la préoccupation majeure sera de sortir aussi vite que possible de cette nouvelle crise et d’en pallier les conséquences sur l’économie ?
            La clause de retrait introduite dans le traité de Lisbonne prévoit un délai de deux ans à partir de la demande de retrait. Il appartiendrait donc aux Britanniques de fixer le départ du délai. Mais nul ne sait ce qu’il adviendrait d’un Premier ministre désavoué sur une question majeure. Or le nombre de questions à régler serait immense depuis celle du régime commercial jusqu’à celle des agences exécutives et des fonctionnaires de nationalité britannique. Les représentants du Royaume continueront à siéger dans les instances de l’UE tant que le traité de sortie ne sera pas en vigueur. Pourraient-ils se voir confier la présidence tournante qui devait leur échoir au second semestre de 2017 ?       
            Je me garderai de tout pronostic sur le résultat du vote. La bataille sur les conséquences économiques du Brexit semblait gagnée après de multiples mises en garde. Cependant les partisans de la sortie de l’UE, forts du renfort du très populaire ancien maire de Londres Boris Johnson, sont plus ardents et soutenus par une presse populaire passionnément hostile à l’UE. Les partisans du maintien plus nombreux parmi les jeunes sont moins ardents et plus abstentionnistes. Le Premier ministre a de la peine à faire entendre un discours dans lequel il énumère tous les avantages non seulement économiques mais politiques que le Royaume-Uni a tirés de son appartenance à l’Union alors qu’il ne cessait naguère de les contester. On notera qu’en conclusion de ces déclarations, il ne manque pas néanmoins de se féliciter d’avoir bloqué toute avancée vers une Europe politique.  
            Une sortie du Royaume-Uni pourrait enfin conduire à son éclatement si, comme il est probable, les indépendantistes écossais, europhiles, en tiraient argument pour réclamer un nouveau référendum. On peut aussi redouter les conséquences d’un Brexit sur les relations inter-irlandaises et la reprise d’un conflit séculaire que la commune appartenance à l’UE avait contribué à apaiser.


Les réfugiés, une crise dont on ne voit pas la fin

Après quelques mois, on peut prendre la mesure de l’ampleur du drame auquel l’Europe est confrontée. L’idée suivant laquelle il existe en Europe une terre d’accueil ouverte aux victimes des régimes tyranniques et des différentes formes de guerre qui sévissent en Afrique et au Proche-Orient est un élément nouveau dans la géopolitique internationale. Il n’est pas surprenant que les réactions face à ce phénomène opposent des peuples dont l’histoire est diverse. Entre la générosité initiale d’Angela Merkel et le refus des pays d’Europe centrale d’accepter la décision de relocalisation des demandeurs d’asile décidée par le Conseil européen, l’incompréhension est totale. Après avoir donné le spectacle de décisions unilatérales prises sans concertation, la situation est en voie de lente amélioration.  
La mise en place des hotspots permet l’enregistrement des migrants lors de leur arrivée sur le territoire. L’accord passé avec la Turquie, contestable au regard de l’évolution de ce pays vers un autoritarisme dictatorial, n’en a pas moins révélé son efficacité. Mais pourra-t-on longtemps considérer la Turquie comme un pays sûr au sens du droit d’asile ?
Alors que la filière turque et balkanique a été interrompue par diverses fermetures de frontières décidées unilatéralement d’abord par la Hongrie, puis par l’Autriche et, à son initiative, par l’ensemble des pays des Balkans et, en dernier lieu par l’accord avec la Turquie, on assiste ces derniers jours à une réanimation de la filière libyenne, la plus meurtrière. Tel un mirage apparait puis se dissipe l’espoir de l’émergence en Lybie d’un pouvoir susceptible de faire appel à l’aide de l’UE. Les migrants venant de Lybie sont en majorité des migrants économiques ne relevant pas du droit d’asile mais d’accords de réadmission. L’octroi de moyens supplémentaires à l’agence Frontex est en cours ainsi que la création dont le principe semble acquis d’un corps de garde-frontières européen. Sans un contrôle effectif de la frontière extérieure,  il sera difficile de rétablir la libre circulation qui était un des acquis majeurs de l’UE. Une politique migratoire  commune impliquerait un accord, non seulement sur les critères de l’asile, mais sur les objectifs démographiques.
Pour la France, la constitution à Calais d’une zone peuplée de candidats à l’entrée en Angleterre et refusant l’asile en France a représenté une difficulté particulière en voie de lente résolution à laquelle contribue l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Longtemps hésitant à accepter la relocalisation de réfugiés suivant le système de quotas par pays, le gouvernement français s’y est finalement résolu. Notre effort demeure modeste au regard de celui non seulement de l’Allemagne, mais aussi de la Suède et de l’Autriche où un candidat populiste a manqué de peu d’être élu président de la République.


Contentieux avec la Pologne sur l’Etat de droit

Le gouvernement polonais issu d’élections qui ont donné le pouvoir à la droite populiste et nationaliste a décidé de réformer la Cour constitutionnelle et notamment d’annuler des nominations récentes, décision annulée par ladite Cour comme contraire à la constitution. Ayant refusé de se soumettre à cet arrêt, le gouvernement polonais dirigé en sous-main par Jaroslaw Kaczynski fait l’objet d’une procédure visant au respect de l’Etat de droit. Le premier vice-président de la Commission, le Néerlandais Frans Timmermans s’est rendu en Pologne. Les manifestations qui ont rassemblé des foules à Varsovie sous les couleurs du drapeau européen laissent espérer un repli des Autorités polonaises qui sont par ailleurs en conflit avec l’Europe à propos de l’accueil des réfugiés. Sur ce dernier point, la Pologne bénéficie du soutien de la République tchèque, de la Slovaquie et de la Hongrie, tous pays hostiles au multiculturalisme et opposés à la décision de répartition de quotas de migrants.


Accords de libre-échange

Les accords déjà négociés mais non encore ratifiés avec le Canada et en cours de négociation avec les Etats-Unis font l’objet d’une intense polémique. Connus sous les sigles CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement - Canada), TAFTA (Transatlantic Free Trade Agreement) ou TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership - Etats-Unis), leur objet ne se limite pas à un abaissement des droits de douane mais vise à une harmonisation ou, à défaut, à une reconnaissance des normes visant notamment la protection des consommateurs ou de l’environnement. Le CETA qui prévoit un tribunal arbitral public est soutenu par le gouvernement français plus réservé concernant le TAFTA, notamment au regard des offres américaines relatives aux marchés publics et de la protection des appellations d’origine. Les opposants nombreux et virulents redoutent un alignement sur des protections réduites. Le principal argument en faveur du TAFTA est la chance d’imposer des normes communes à l’échelle mondiale, notamment à la Chine.


La bataille du glyphosate

La prolongation de l’autorisation d’utiliser le glyphosate, plus connu sous l’appellation round up offre un exemple d’actualité de l’importance prise par la bataille des normes. En présence d’avis contradictoires du centre de recherche sur le cancer dépendant de l’OMS et de l’agence européenne de sécurité des aliments sur le potentiel cancérogène probable ou improbable du glyphosate, la Commission a proposé, en attendant de nouvelles études, la prolongation d’une autorisation qui expire fin juin. La majorité nécessaire n’a pas été obtenue au Conseil. Les gouvernements sont partagés, les ministres de l’Agriculture étant généralement favorables à un produit massivement utilisé par les agriculteurs.


OTAN et défense européenne

Les manœuvres de l’OTAN en Pologne et dans les Etats baltes soulignent la dépendance dans laquelle se trouvent les Européens face à la volonté de Poutine de rétablir le statut de grande puissance de la Russie, notamment dans « l’étranger proche ». Une éventuelle accession de Donald Trump à la Maison blanche poserait en termes nouveaux le problème de la défense de l’Europe. Plus que jamais s’imposerait une revalorisation et une mutualisation des budgets et des programmes. C’est un thème qui devrait être abordé avec les Britanniques quel que soit le résultat du référendum du 23 juin.


Une relance difficile

De même, quel que soit le résultat du vote du 23 juin, on s’accorde à penser qu’une redéfinition, une mise à jour du projet européen s’imposera. Mais ne nous berçons pas d’illusions. Les obstacles sont considérables. Se pose d’abord la question de l’initiative et du cadre.  Les pays du Sud, la France en premier lieu, ne semblent pas sur la voie d’une remise en ordre de leurs finances et l’Allemagne refuse tout nouveau progrès d’intégration conduisant à plus de solidarité. Ni les uns, ni les autres ne sont prêts à accepter des décisions majoritaires dans ces domaines et moins encore en matière de sécurité intérieure et extérieure. Or toute relance serait vaine qui ne préciserait pas les objectifs et les modes de décision.

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En guise de conclusion, ce bel hommage d’Obama aux Européens prononcé le 25 avril à Hanovre : « Peut-être faut-il un ami de l’extérieur pour vous rappeler la grandeur de ce que vous avez accompli. »