30 décembre 2016

L'illusion malfaisante du contrôle aux frontières



Paris, 30 décembre
Les commentateurs qui s’étonnent que le terroriste au camion de Berlin ait pu franchir trois frontières sans être appréhendé sont aussi ridicules que les hommes politiques qui en font un thème ressassé d’attaque contre le plus bel acquis de l’UE, l’espace sans frontières. Ce ne sont pas des contrôles individuels matériellement impossibles compte tenu des nombres en cause qui peuvent contrer les terroristes mais l’action préventive par le fichage des personnes radicalisées, l’échange de fichiers à défaut d’un fichier européen et la collaboration des polices nationales à laquelle contribue l’agence Europol. Dans l’affaire de Berlin, c’est le retard à exploiter les indices laissés volontairement ou non par le criminel qui est la faille contestable. En laissant mettre en cause la libre circulation, en dirigeant les critiques contre l’UE plutôt que contre les Etats, nous nous rendons complices de nos pires ennemis.

17 décembre 2016

Le plan Védrine pour sauver l'Europe



                                      Sauver l’Europe ! d’Hubert Védrine
 Editions Liana Levi

         L’ancien collaborateur de François Mitterrand et ancien ministre des Affaires étrangères de la cohabitation Chirac-Jospin nous livre, en moins de cent pages, un plan de sauvetage de l’Europe. Il ne peut que déplaire à ces fervents d’une « union sans cesse plus étroite » à qui Hubert Védrine impute la responsabilité de l’euroscepticisme ambiant. La qualité de l’homme et le poids de son influence n’en justifient pas moins un examen approfondi de son analyse de la crise européenne et de ses propositions de refondation.

                                      Un diagnostic unilatéral
         Le diagnostic d’Hubert Védrine part d’une critique radicale des européistes-fédéralistes dont les ambitions intégrationnistes et uniformisatrices auraient provoqué un rejet du projet par les peuples. Ces « téléologistes » ne représenteraient, selon l’auteur, qu’environ 1% de l’électorat. Leur influence sur les élites ne permettrait plus de convaincre les peuples. Le Brexit en serait la plus récente manifestation. Les solutions à ce qui apparait comme une crise existentielle accentuée par les craintes suscitées par l’afflux des réfugiés demandeurs d’asile ne sauraient être recherchées dans une fuite en avant institutionnelle répondant à un appel imprudent à plus d’Europe, par exemple un ministre des finances qui dépossèderait les ministres nationaux.
         Curieusement de la part d’un membre de la mouvance socialiste, Hubert Védrine voit dans l’excès de réglementation le facteur prépondérant de ce désamour. Il a cependant l’honnêteté de reconnaître la responsabilité des administrations nationales, notamment françaises, dans certains excès de la normalisation communautaire. En souhaitant lui-même une écologisation de l’agriculture, il admet implicitement la nécessité de règles communes.
Ce n’est pas négliger ce qu’il y a de fondé dans ce diagnostic que mettre en lumière les autres facteurs qui sont à l’origine de l’euroscepticisme, voire de l’europhobie. Depuis l’échec, en 1954, du projet de Communauté politique qui devait coiffer la Communauté de Défense, le projet européen s’est enfermé  dans l’économie. Outre la politique étrangère et la défense, tenues hors de la compétence communautaire, les dimensions sociale, culturelle, civique ont été négligées. L’adhésion des anciens satellites de l’Union soviétique n’a pas été suffisamment liée à des engagements démocratiques contraignants et à des réformes de nature à donner aux peuples un réel sentiment de participation. La puissance symbolique du passage à la monnaie unique a été affaiblie par le recours à des signes abstraits sur les nouveaux billets et par une calamiteuse désinformation concernant les conséquences sur les prix de l’introduction de la nouvelle monnaie. Dans le même temps, la Commission s’est vu confier un rôle disciplinaire qui ne pouvait que la rendre impopulaire, sans que pour autant les avantages procurés par l’Union aient fait l’objet de campagnes d’information efficaces.
 La création d’une deuxième présidence, celle du Conseil européen, l’adoption de facto de la règle un commissaire par Etat, n’a pas amélioré la visibilité institutionnelle et le  dialogue avec les citoyens. Le mode d’élection du Parlement dans un cadre exclusivement national et la disproportion excessive dans la répartition des sièges au profit des pays les moins peuplés contrarient  l’émergence d’une légitimité démocratique européenne. La désignation, avant les élections européennes, de candidats des deux principaux partis à la présidence de la Commission, tout en marquant un progrès, n’a pas eu les résultats espérés. La participation électorale n’a que faiblement augmenté. En dépit de tous ces facteurs négatifs, la confiance accordée aux institutions européennes, selon les enquêtes d’Eurobaromêtre, apparait certes en déclin mais supérieure à celle dont bénéficient les institutions nationales.
Hubert Védrine, dans sa propension à attribuer aux européistes la responsabilité de l’euroscepticisme, néglige ce qui en est le facteur principal, à savoir la mondialisation et plus précisément la montée d’une concurrence des masses asiatiques dont la sortie de la misère s’accomplit par un transfert des activités productives que nous n’avons pas su prévoir. Au demeurant, le mécontentement qui en résulte de la part des victimes des délocalisations ne s’adresse pas seulement, comme Hubert Védrine voudrait nous le faire croire, aux institutions européennes mais à tous les pouvoirs établis.

                                      Relance ou refondation ?
         Le plan Védrine consiste à réunir une « conférence refondatrice » d’une durée supérieure à celle des habituels sommets européens mais inférieure à celle d’une convention. L’objet de cette conférence qui au départ ne réunirait que les représentants des Etats membres serait de dresser « le bilan politique de la construction européenne, de ses méthodes, de son mode de fonctionnement et de décision, de sa bureaucratisation progressive, de son rapport avec les peuples » sur la base de trois rapports établis par de grands anciens, des dirigeants actuels et des représentants de la société civile. Seraient abordés ensuite la clarification du rôle de la Commission dans les politiques à maintenir après inventaire et la définition limitative de nouveaux domaines clés où la valeur ajoutée du niveau européen serait évidente.
         La singularité du plan Védrine consiste à faire précéder ce bilan politique par la proclamation d’une pause dans l’intégration en vue de « renouer le contact avec les sceptiques et de les détacher des anti-européens idéologues…, de parler à la grande majorité en train de décrocher pour la convaincre à nouveau. » Il s’agit en fait d’un pari risqué. On imagine les anti-européens de tout bord s’engouffrer dans la brèche et saisir l’occasion de cette autocritique de l’intégration pour jeter à bas ce qui a été péniblement construit en près de quatre-vingts ans.
         Si l’on doit s’interroger sur les origines de l’euroscepticisme et sur le signal négatif que donnerait la proclamation d’une pause, on les analyses d’Hubert Védrine sur la plupart des questions d’actualité : déficits, dette, environnement, réfugiés… emportent la conviction. De même on ne peut qu’approuver la solution proposée pour le cadre de la refondation : les Vingt-sept, la zone euro, les fondateurs ? « L’exclusion est impossible. Le programme et l’ambition feraient la sélection » Cela suppose qu’un groupe d’Etats propose une avancée qui, aujourd’hui ne pourrait se limiter à l’harmonisation économique, sociale et fiscale mais devrait s’étendre à la politique étrangère et à la défense. Si la volonté politique était là, les clauses du traité de Lisbonne relatives aux coopérations renforcées ou structurées permettraient à un groupe d’Etats de constituer une avant-garde qui, en cas de succès, ne manquerait pas de s’élargir.
         Les avancées possibles sans nouveaux traités sont considérables. Citons à titre d’exemple la création (en cours) d’un corps de garde-frontières, l’augmentation des ressources propres, la création d’eurobonds et d’un Trésor européen, l’harmonisation de la fiscalité des entreprises, la transformation du Fonds social en instrument de retour à l’emploi, le renforcement d’Europol et d’Eurojust, la création d’un Parquet européen, la dotation de l’Agence de défense de moyens lui permettant de financer les recherches en matière d’armements, la mise en place d’un état-major européen.
A propos de défense cependant on a du mal à comprendre le soutien donné au projet de traité entre France, Allemagne et Royaume-Uni curieusement issu de la Fondation Robert Schuman, avec les meilleures intentions. Outre le peu de vraisemblance d’un revirement d’une position britannique traditionnellement hostile à tout engagement de défense hors de l’OTAN, un tel traité, s’il venait à être seulement envisagé, serait de nature à dresser un obstacle de plus sur la route d’une Union européenne devant, pour relever les défis, se donner une dimension plus politique. Un traité conclu après le Brexit entre les trois principales puissances européennes équivaudrait à renoncer à tout progrès en direction d’une défense européenne organisée dans le cadre de la « coopération structurée » prévue dans le traité de Lisbonne. En second lieu, offrir au Royaume-Uni le statut de partenaire privilégié en matière de défense reviendrait à le récompenser pour sa désertion. On imagine le parti que les négociateurs britanniques du Brexit pourraient tirer d’une telle offre s’ils n’étaient paralysés par leur obsession de ne pas affaiblir l’OTAN.
         Plutôt que d’un nouveau traité, nous aurions besoin, après l’élection de Trump, d’une réaffirmation de l’engagement des Etats-Unis. A défaut de l’obtenir, nous devrons enfin nous décider à organiser une véritable défense européenne, bras armé d’une politique étrangère commune qui reste à construire.  Déterminer les modalités d’une éventuelle participation d’un Royaume-Uni associé à l’Union européenne pourrait être un des chapitres de la négociation post Brexit dans laquelle il importe que la position britannique demeure celle du demandeur.
         On ne peut, en revanche, que rejoindre Hubert Védrine dans son plaidoyer en faveur de la préservation du mode de vie européen. Par mode de vie, il entend « un certain équilibre entre individu et groupe, liberté et organisation, protection et expérimentation, équilibre propre aux sociétés européennes actuelles… » Nous pouvons même lui accorder que la transition nécessaire pour maintenir « une certaine douceur de vivre en Europe » ne passe pas seulement par de nouvelles règlementations. « Au niveau européen, il faudrait donc faire connaître les bonnes et mauvaises pratiques, suggérer, encourager, entraîner, fixer des objectifs, des calendriers, sans se substituer systématiquement aux Etats membres, aux collectivités locales, aux entreprises… ni tout règlementer en détail ».
         Si, comme on peut l’espérer, le drame syrien et les craintes suscitées par l’improbable duo Trump-Poutine, forcent l’entrée de l’Europe dans la campagne de l’élection présidentielle, le plan Védrine, avec ses ombres et ses lumières, devrait en être un des éléments.
  

09 décembre 2016

Une lettre au président Giscard d'Estaing



Paris, 9 décembre
Voici la lettre que j’ai adressée il y a quelques jours à l’ancien Président.
                               Monsieur le Président,
                Dans une déclaration récente, vous avez, avec la haute autorité qui est la vôtre, contesté le rôle auquel prétend la Commission européenne dans la négociation qui devra s’ouvrir quand le Royaume-Uni aura notifié son intention de se retirer de l’Union.
                Au plan juridique, selon l’alinéa 2 de l’article 50, « A la lumière des orientations du Conseil européen, l’Union négocie et conclut avec cet Etat un accord fixant les modalités de son retrait… Cet accord est négocié conformément à l’article 218 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne » suivant lequel « le Conseil autorise l’ouverture des négociations, arrête les directives de négociation, autorise la signature et conclut les accords. » Suivant un usage constant, ces dispositions encadrent le rôle de négociateur qui, sauf disposition contraire, revient à la Commission.
                Au plan politique, ne pensez-vous pas que les chances de préserver l’unité des vingt-sept Etats membres face aux redoutables négociateurs britanniques seront mieux assurées si la négociation est conduite par l’institution en charge des intérêts communs ? Est-il enfin judicieux, en un temps où le vent mauvais du nationalisme souffle de nouveau sur notre continent, de réduire à une simple expertise la fonction de cette institution ?
                Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’assurance de ma déférente considération.