27 septembre 2015

L'Europe au défi des réfugiés

L’Europe face au défi des réfugiés
Paris 27 septembre 

          Le défi migratoire a changé de nature. A une migration à motivation économique provenant principalement d’Afrique, s’est ajouté un exode massif de réfugiés victimes de guerres civiles et de régimes tyranniques, venant principalement de Syrie. La photo d’un enfant de trois ans noyé sur une plage turque a suscité un mouvement mondial de sympathie. La chancelière allemande a pris la tête de ce mouvement soutenu par la majorité de l’opinion en Europe occidentale. Elle a décidé de ne plus renvoyer les réfugiés dans le pays de leur première entrée dans l’UE, ainsi que le prévoyait la convention de Dublin, et s’est dite prête à examiner 800 000 demandes d’asile au cours des deux prochaines années. Puis, face à l’ampleur imprévue des arrivées et à la saturation des structures d’accueil, la Chancelière a fait une brusque marche arrière en décidant d’avoir recours aux dispositions des accords de Schengen qui permettent le rétablissement des contrôles à titre provisoire. Contrairement à des commentaires erronés, la libre circulation des ressortissants de l’UE n’est nullement mise en cause. Par la voix du vice-chancelier Sigmar Gabriel, l’Allemagne a justifié ce retournement par l’absence de solidarité de ses partenaires. Sa disponibilité à recevoir autant de réfugiés n’en a pas moins contribué à transformer l’image de l’Allemagne et de sa chancelière et à créer une émulation bienvenue de la générosité. On peut cependant regretter l’absence de consultation préalable à ces décisions qui ont contribué à grossir la vague des demandeurs d’asile.
 Le président Hollande, après avoir rejeté, au printemps, la proposition initiale de la Commission européenne d’une répartition de l’effort suivant des critères objectifs, s’y est finalement rallié, tout en  annonçant que la France accueillerait 24 000 réfugiés dont un millier venant d’Allemagne comme marque de solidarité envers notre partenaire. Paradoxalement, l’arrivée de nouveaux réfugiés venant de Munich où des représentants de Paris sont allés les chercher a eu pour effet d’améliorer l’accueil de migrants antérieurs pour lesquels des hébergements se sont soudain révélés disponibles. La situation de la France où le Front national représente un quart de l’électorat n’en est pas moins bien différente de celle d’une Allemagne dont les finances sont en ordre et qui souffre d’une pénurie de main d’œuvre et d’une natalité en berne. Bien qu’un élan de générosité se soit également manifesté en France, les sondages révèlent une division de l’opinion en deux fractions presqu’égales. Bien plus négatives apparaissent les réactions en Europe centrale où toute obligation d’accueil de populations en majorité musulmanes est considérée comme un risque pour l’identité nationale. A signaler cependant l’appel à la solidarité lancé par une centaine de personnalités d’Europe centrale.
Le Conseil européen a entériné le 23 septembre la décision prise la veille par les ministres  de l’intérieur à la majorité qualifiée et sur proposition de la Commission, de répartir 120 000 réfugiés. Le ralliement de la Pologne a facilité une décision conforme à la logique des institutions, bien que l’absence d’unanimité ait été présentée comme un échec. Les opposants étaient la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie. En revanche, un consensus s’est établi en faveur d’un renforcement des contrôles à la frontière extérieure, de la création de centres d’accueil en Italie et en Grèce et d’une aide accrue aux organismes onusiens en charge des réfugiés séjournant en Turquie, en Jordanie et au Liban. On espère ainsi endiguer le flot et distinguer les demandeurs d’asile des migrants économiques.
De multiples questions demeurent : répartition des réfugiés dont le nombre excèdera vite le chiffre de 120 000, harmonisation des critères de l’asile, modalités du renvoi des migrants économiques qui supposent des négociations avec les pays d’origine, recherche de concours financiers auprès des pays du Golfe qui se refusent à accueillir les réfugiés malgré leur commune appartenance sunnite.

                              Un imbroglio diplomatique

L’Orient compliqué vers lequel le général de Gaulle affirmait se diriger avec des idées simples est plus compliqué que jamais. Le dictateur syrien Assad qui massacre sa population bénéficie de l’appui  de la Russie, de l’Iran et du hezbollah chiites. Une guerre civile à partenaires multiples se poursuit en Syrie, ravage son économie, sa population et ses trésors culturels. Le prétendu Etat islamique Daech contrôle les déserts d’Irak et de Syrie. Il multiplie les actes de barbarie et combat à la fois l’armée d’Assad, les Kurdes qui tiennent la frontière nord et une armée irakienne sans consistance. Une coalition anti-Daech réunit les Saoudiens et les Occidentaux, la doctrine wahabite n’étant cependant pas étrangère à la naissance d’un khalifa islamique à prétention universelle. La Turquie a tardé à se rallier à la coalition mais accorde une priorité absolue à sa lutte contre les Kurdes du PKK. La Russie, dont la Syrie est le seul point d’appui dans la région et qui dispose de la base de Tartous, voit dans la crise actuelle le moyen d’affirmer sa puissance. Poutine propose la constitution d’une large coalition anti-Daech qui comprendrait, outre la Russie, la Syrie d’Assad. Les Occidentaux se trouvent ainsi placés devant la perspective de se résigner à la survie du régime syrien, Daech apparaissant comme l’ennemi principal. Un mouvement de rapprochement tactique entre Moscou et Washington s’amorce sans que les Européens y soient apparemment associés. Une sortie de crise passerait par une réconciliation des puissances régionales (Arabie, Iran, Turquie) qui s’affrontent en Syrie.  L’accord nucléaire conclu avec l’Iran, principal soutien d’Assad, pourrait-elle faciliter une évolution, alors que Turquie et Arabie espèrent sa chute ?
   Combien dérisoire parait, dans ces conditions, le débat ouvert en France sur l’opportunité d’une intervention terrestre à laquelle une majorité de l’opinion, révulsée par les atrocités de Daech, serait favorable mais dont nous n’avons pas les moyens ! Les frappes aériennes, auxquelles participe la France,  ont contribué à contenir Daech mais ne permettront pas de l’éliminer alors qu’il bénéficie du soutien de la population sunnite maltraitée par le régime irakien. Mais nul, à commencer par Obama, n’est prêt à faire la guerre sur le sol syrien. Contribuer à une solution sans trahir nos principes devrait inspirer la stratégie de l’Europe si la politique étrangère et de sécurité commune inscrite dans les traités ne demeurait hélas une fiction.  

                              La crise grecque : un climat apaisé

La crise des réfugiés a occulté le problème grec, tout comme celui de l’Ukraine.
Un troisième plan d’aide à la Grèce a été approuvé par l’Eurogroupe le 14 août après des négociations laborieuses. Les économies et les réformes finalement acceptées par le premier ministre Tsipras ont provoqué l’éclatement de son parti et le recours à de nouvelles élections. Le remplacement du flamboyant Yanis Varoufakis par George Chouliarakis très apprécié par les membres de l’Eurogroupe a considérablement amélioré le climat des relations avec la Grèce.
Il reste à résoudre le problème posé par le montant d’une dette qui fait peser sur la Grèce une charge insupportable de l’avis même du FMI. L’Allemagne souhaite s’en tenir à la prolongation des délais de remboursement et à un allègement des intérêts. Il n’est pas sûr que cela soit suffisant pour rétablir la confiance des investisseurs.
Les élections du 20 septembre ont accordé à Tsipras un succès plus large que celui prévu par les sondages. Il lui a permis de reconstituer sa majorité et son alliance avec un petit parti souverainiste. La fraction dissidente de Syrisa n’a pas atteint les 3%. Elle ne sera pas représentée au Parlement. Une relative stabilité est ainsi assurée. Reste à voir si Tsipras sera capable de conduire des réformes auxquelles il s’est engagé mais qu’il ne cesse de désapprouver.

                              Le gouvernement de la zone euro

La crise migratoire a occulté le débat sur la gouvernance et le renforcement de la zone euro. Un débat de doctrine persiste entre ceux qui font du retour à l’équilibre des budgets et de la réduction de l’endettement la condition préalable d’un retour durable à la croissance et ceux qui voient dans ce qu’ils appellent l’austérité budgétaire la cause de la stagnation. A ce débat qui, en France, divise le parti socialiste, se surajoute, dans la perspective de la Cop 21, un autre débat sur la nature d’une croissance de plus en plus dépendante des nouvelles technologies et de la transition énergétique. Le succès de la réunion de Paris est largement subordonné à la mobilisation de ressources suffisantes pour répondre aux attentes des pays en développement. Le produit de la taxe sur les transactions financières devrait contribuer à cette mobilisation.
 La création, proposée par la France, d’une gouvernance propre à la zone euro, demeure fort vague et semble en contradiction avec le refus des abandons de souveraineté budgétaire. S’agit-il de désigner un ministre des finances, comme l’envisage Pierre Moscovici, mais aussi Benoit Cœuré, de réunir une assemblée parlementaire ? Le président Tusk insiste sur l’achèvement de l’union bancaire par la garantie des dépôts. Jean-Claude Junker plaide en faveur d’une représentation unifiée de la zone euro au FMI. La création d’un parlement de la zone euro où siègeraient des élus nationaux rencontrerait une vive opposition du Parlement européen ainsi que de la part des Etats qui envisagent d’adopter l’euro à plus ou moins brève échéance et ne veulent pas être exclus des délibérations. Un compromis, lui-même très incertain, pourrait consister à créer une commission de l’euro au sein du Parlement européen (Daniela Schwarzer du German Marshall fund) et/ou à autoriser les parlementaires européens non membres de la zone euro à participer aux débats sans droit de vote.
L’abaissement de la note de la France par Moody’s vient de nous rappeler l’insuffisance de nos réformes, en dépit des efforts louables mais contestés de Macron. L’opposition de droite qui préconise des économies massives tout en protestant contre la réduction des subventions aux collectivités locales est  en pleine schizophrénie.

                    La crise de l’élevage

La suppression des quotas laitiers, les mesures de rétorsion imposées par la Russie, le ralentissement de la croissance chinoise s’ajoutant aux fluctuations cycliques du marché du porc ont provoqué une baisse des prix qui place les éleveurs dans une situation difficile. On mesure à cette occasion le retard pris en France dans la modernisation des filières et aussi la concurrence jugée déloyale résultant des bas salaires pratiquée en Allemagne, notamment dans les abattoirs. On peut aussi s’interroger sur le bien-fondé de l’abandon de toute limitation quantitative de la production laitière et sur l’avenir d’une industrialisation à outrance de l’élevage. Ces questions ne vont pas manquer d’alimenter le débat européen au cours des prochains mois.
                    Le traité de partenariat transatlantique

Le traité de partenariat et de libre-échange négocié avec les Etats-Unis dans une opacité dénoncée avec quelque exagération donne lieu à de vives oppositions particulièrement virulentes en Allemagne où les organisations de consommateurs et les écologistes redoutent un affaiblissement des protections propres à l’Europe. La Commission qui négocie sur mandat du Conseil mais avec un appui très discret des gouvernements fait valoir le surplus de croissance que généreraient un accord et aussi la chance d’imposer des normes universelles. Ce projet soulève également de fortes oppositions aux Etats-Unis principalement de la part des Démocrates, moins libre-échangistes que les Républicains. Voilà encore un sujet qui alimentera les débats des prochains mois. La Commission vient de proposer un mode de règlement des différends par la mise en place d’une cour de justice paritaire afin de répondre aux objections élevées contre  le système d’arbitrage privé précédemment envisagé. On peut aussi se demander s’il ne conviendrait pas de mettre en cause, à l’occasion de ces négociations, l’application extraterritoriale du droit pénal largement pratiquée par les Etats-Unis.
L’affaire Volkswagen ne contribue pas à renforcer les positions de l’UE. Elle révèle le conflit d’intérêts résultant d’organismes de contrôle trop proches des entreprises. Cf les labos et l’agence du médicament.  Vw était-elle seule coupable ?

          La préparation du référendum britannique

Il se confirme que le premier ministre Cameron s’est tendu un piège redoutable. Pour éviter un isolement du Royaume-Uni qu’il ne souhaite pas, il devra démontrer à des Britanniques en majorité eurosceptiques qu’il a arrachés de réelles concessions à ses partenaires. Sans doute obtiendra-t-il l’abandon de telle ou telle norme jugée « technocratique ». Il lui sera plus difficile de justifier le droit de déroger au principe de non-discrimination dans l’octroi des droits sociaux aux ressortissants européens, ce qui ne peut que déplaire aux Etats d’Europe centrale et orientale. De même, il aura du mal à maintenir son droit de participer aux décisions de politique économique tout en abandonnant explicitement l’objectif d’adopter l’euro. On n’a pas suffisamment prêté attention à la contestation de la formule d’une « union sans cesse plus étroite » qui, à défaut d’être éliminée des traités, ne concernerait plus le Royaume-Uni. Cette revendication, tout comme le refus de tout pas en avant en direction d’une défense commune en dépit des circonstances qui en démontrent l’urgence, conduisent à se demander ce qui serait le pire : le Brexit ou le reniement de l’idéal européen.
L’élection inattendue d’un leader très à gauche, Jeremy Corbyn, à la tête du Labour accroit les chances du Brexit, notamment si Cameron obtient des dérogations en matière de droit social.

                    Une crise d’une exceptionnelle gravité

Je ne puis en conclusion que souligner la gravité de la crise présente. Les divisions apparues à propos de la marée des réfugiés et l’impuissance qui en résulte ont rendu plus virulents les ferments d’euroscepticisme qu’avait répandu la crise de l’euro. Mais cette fois nous sommes en présence d’un conflit de valeurs. Que chaque pays, sinon chaque personne, soit divisé contre lui-même n’est pas un réconfort. Ce qui éclate aux yeux des meilleurs observateurs, c’est le drame d’une intégration au milieu du gué, incapable d’avancer et menacée de dramatiques reculs. A mesure que s’éloigne le souvenir des guerres du XXème siècle et de l’oppression totalitaire, l’Europe n’apparait plus comme une promesse de paix, de liberté et de prospérité mais comme le champ clos des intérêts à courte vue de chaque Etat, et souvent de chaque région ou corporation. Le président de la Commission a su trouver les mots qui convenaient pour décrire le spectacle offert par le chaos de politiques nationales refusant de s’intégrer mais incapables de se coordonner. Le Parlement européen a réussi à réunir une large majorité en faveur des quotas de réfugiés. Mais bien faible est la riposte au flot de discours nationalistes qui déferle sur l’Europe. Dans le meilleur des cas, on se borne à reconnaître que les solutions ne peuvent être trouvées qu’au niveau européen. C’est l’honneur de notre association de participer à un effort pédagogique plus difficile mais plus nécessaire que jamais.
  Texte établi à partir de mon Observatoire de l'Europe pour ARRI (Association réalités et relations internationales).