16 avril 2015

La dissuasion par le naufrage

            Paris 16 avril 2015

            Le naufrage de plus de 400 migrants en Méditerranée est un nouvel et dramatique témoignage de l’impuissance de l’Europe. Combien de victimes seront nécessaires pour que soient prises les mesures qui s’imposent : déploiement d’une flotte capable d’arrêter les bateaux peu après leur départ, négociations avec les autorités de droit ou de fait contrôlant le littoral, remplacement du système Dublin qui met les migrants à la charge du pays qui les a secourus par une répartition équitable entre tous les Etats de l’Union. Nous sommes ici en présence d’une situation où le refus des Etats de se dessaisir d’une part de leur souveraineté les conduit à adopter une attitude indéfendable au regard des valeurs européennes : l’utilisation de la menace du naufrage comme arme de dissuasion contre l’immigration illégale. Loin d’être félicitée pour son action humanitaire dans le cadre de son programme Mare nostrum, l’Italie a été accusée, notamment par Cameron, d’encourager le départ des candidats à la migration. Le programme Triton qui a pris la suite dans le cadre de l’Agence européenne Frontex n’est pas conçu pour venir au secours des naufragés, alors que c’est tout ce qu’il peut faire, et avec des moyens dramatiquement insuffisants. 

08 avril 2015

Actualité européenne

Paris 8 avril 2015

Voici le résumé de mon dernier exposé au club Europe d'ARRI.

Observatoire de l’Europe
Le printemps du sursaut ?

En ce printemps, l’Europe est confrontée à de redoutables défis sécuritaires tandis que les perspectives du retour à la croissance bénéficient d’une conjoncture exceptionnellement favorable malgré les difficultés persistantes du côté de la Grèce.

Les défis sécuritaires

          Un nouvel accord de cessez-le-feu a été conclu à Minsk le 12 février. Contrairement à ce que l’on pouvait craindre, l’UE a réussi à maintenir une certaine unité face à Poutine qui s’est manifestée par l’adoption de sanctions ciblées. Alors que Poutine redoute la force d’influence de l’UE, il est regrettable que l’Union n’ait pas été présente, en tant que telle, à Minsk. On aurait aimé voir le président du Conseil européen Donald Tusk aux côtés de la Chancelière allemande et du Président français. La complaisance pour l’agressivité moscovite des souverainistes des deux bords est une trahison des valeurs et des intérêts européens.

          La menace terroriste a pris une autre dimension depuis qu’Al Qaïda a été en quelque sorte relayée par un groupe criminel ultra-violent prétendant exercer une autorité étatique, celle d’un nouveau khalifa étendant son pouvoir sur une partie importante de la Syrie et de l’Irak et suscitant des déclarations d’allégeance venant de la Libye en guerre civile et du Nord-Nigéria où sévit Boko Haram. Les bombardements, pour l’essentiel américains, ont contenu Daech mais ne l’ont pas détruit. L’hostilité des Arabes sunnites à l’égard des chiites dominants en Irak explique l’incapacité de la Ligue arabe à affronter Daech sur le terrain, alors qu’elle combat les chiites au Yémen et redoute un éventuel accord sur le nucléaire iranien. Les hésitations occidentales face à l’incroyable imbroglio syrien complètent un tableau assez désastreux. Les Européens ne sont pas prêts à relever le défi de la sécurité. L’inaction du Royaume-Uni au Nigéria est, pour le moins, surprenante. Seule la France se révèle interventionniste. Elle regrette d’être seule dans le Sahel et en Centrafrique, mais ne tient pas à partager les décisions.

Les propos de Jean-Claude Juncker publiés dans le journal allemand Well am Sontag en faveur d’une armée européenne sont-ils révélateurs d’une prise de conscience ? La ministre allemande de la Défense Van der Leyen a approuvé le projet tout en le situant dans le long terme…
 
L’armée européenne n’est pas pour demain. En revanche, l’Europe ne pourra tarder à affronter un défi migratoire dont l’ampleur est décuplée par le chaos qui règne au Moyen-Orient, ainsi que dans plusieurs pays d’Afrique. Daech nous menace, en cas d’intervention en Libye, de lancer 500 000 malheureux à l’assaut du littoral européen. Une Europe qui utiliserait le naufrage comme arme de dissuasion trahirait une valeur essentielle. Un renforcement considérable des moyens de Frontex serait nécessaire pour endiguer le départ des migrants. La charge de l’accueil et de l’asile devrait être plus équitablement répartie.

Retrouver la croissance et l’emploi, lutter contre l’évasion fiscale, sauver la Grèce
         
          Une conjonction exceptionnelle, taux d’intérêt, niveau de l’euro, cours du pétrole, laisse espérer une reprise générale de l’activité dans la zone euro. Le plan Juncker est destiné à stimuler l’investissement. Son succès dépend des critères qui détermineront les choix des entreprises ou des secteurs bénéficiaires. L’élimination des obstacles qui fracturent le marché unique, en particulier dans l’énergie et les communications, devrait aussi y contribuer, tout comme la perspective d’une ouverture transatlantique à laquelle est supposé conduire la négociation avec les Etats-Unis d’un traité de partenariat connu sous le sigle TTIP. Ce projet, visant à unifier des normes dont on espère qu’elles s’imposeraient universellement, suscite une forte opposition, notamment en Allemagne et en Autriche. Les adversaires redoutent un affaiblissement des protections sociales et environnementales de même que l’arbitrage privé en cas de conflits que demandent les négociateurs américains. La Commission, qui est en charge des négociations, demande aux gouvernements de lui accorder dans les capitales le même degré de soutien qu’ils affichent à Bruxelles.

          La décision de la BCE de racheter les titres de créance détenus par les banques semble avoir été prise contre l’avis de la Bundesbank mais avec l’accord tacite de la Chancelière. Les opérations ont commencé en mars. Elles ont contribué, avant même leur entrée en vigueur, à la normalisation du cours de l’euro que nos exportateurs attendaient depuis longtemps.

          La révélation de l’ampleur des concessions fiscales consenties par le Luxembourg alors que Jean-Claude Jungker exerçait les fonctions de ministre des finances a suscité de forts remous. Cette affaire a contribué à créer un climat favorable à une lutte contre l’évasion fiscale des grandes firmes.

          Le gouvernement Tsipras issu des élections grecques du 25 janvier poursuit de difficiles négociations avec ses partenaires de la zone euro. Il s’agit d’obtenir un programme de réformes précis en échange d’une aide supplémentaire. Les Grecs ont obtenu que leur problème soit débattu au niveau politique. Ils se heurtent au refus de pays parfois plus pauvres qu’eux de les dispenser de l’effort communément accepté. Il n’est pas possible de prévoir l’issue de cette négociation. Est-il souhaitable qu’elle réussisse ? Certains en doutent car ils ne font pas confiance à la capacité, voire à la volonté de redressement du gouvernement Tsipras. Un Grexit n’en serait pas moins ressenti comme un échec de l’Europe.  

          La négociation bilatérale entre la Chancelière et le Premier ministre grec est un signe parmi d’autres de la position dominante de l’Allemagne. Celle-ci ne résulte nullement d’une volonté hégémonique mais de la faiblesse de ses partenaires. D’où viendra le sursaut ?