Adieu
à Michel Albert
Michel Albert nous a quittés le 19
mars à l’âge de 85 ans. Il avait été victime en décembre d’une chute qui avait
provoqué une hémorragie cérébrale. Avec lui disparait l’un des plus brillants
avocats de la cause européenne, non de l’Europe impuissante des souverainetés
étatiques mais d’une Europe fédérale limitée dans son champ de compétences mais
disposant des moyens de décider et d’agir, telle que l’avaient conçue Jean
Monnet et Robert Schuman.
De modeste origine, il était un produit
exemplaire de la méritocratie républicaine. Passé par Sciences Po et l’ENA,
docteur en économie, il tenait sans doute en partie de ses racines populaires
une exceptionnelle capacité d’écoute et d’empathie. Son caractère chaleureux n’était
pas pour rien dans ses succès et dans l’influence qu’il put exercer en des
circonstances diverses. Jeune inspecteur des finances, il assura, en 1959, le
secrétariat général du groupe Rueff – Armand chargé de concevoir des réformes
propres à favoriser la croissance économique. Déjà, parmi de multiples
propositions qui suscitèrent de vives résistances, figurait la remise en cause
du statut des taxis. L’exigence de la modernisation devait être, avec l’Europe,
le fil directeur de sa brillante carrière. Je le connaissais depuis que nous
nous étions rencontrés à l’inspection des finances. Nous partagions la même
conviction que la construction d’une Europe unie serait la tâche de notre
génération et contribuerait à la modernisation de la France. Après un séjour au
Maroc où il créa une inspection des finances, il rejoignit les institutions
communautaires en 1963. Après être passé par la Banque européenne d’investissement
(BEI), il intégra les services de la Commission en tant que directeur des structures
et du développement économique. Etant moi-même à Bruxelles depuis 1962, nous
fîmes ensemble la douloureuse expérience de la dérive provoquée par la
diplomatie du général de Gaulle dont nous admirions cependant la contribution
au redressement de l’économie française et à la réconciliation franco-allemande.
Le refus français du fédéralisme qui persista après la démission du général de
Gaulle, alors qu’était levé le veto à l’adhésion du Royaume-Uni, ne permit pas
que le premier élargissement de la Communauté s’accompagnât d’un pas en
direction d’une Europe politique.
Le champ de réflexion privilégié de
Michel Albert était l’économique et le social plus que le juridique et
l’institutionnel. Il a été l’inventeur du modèle rhénan. Ainsi mit-il en
lumière dans un ouvrage paru en 1991 sous le titre Capitalisme contre capitalisme qui connut un grand succès
l’opposition qu’il discernait entre un capitalisme rhénan pratiquant dialogue
social, cogestion et souci du long terme et un capitalisme anglo-américain
soumis à la loi des résultats à court terme, où l’intérêt des actionnaires
prime celui de l’entreprise. La crise née des abus de la finance aux Etats-Unis
devait confirmer la pertinence de son analyse. Elle démontrait aussi que la
maîtrise de la mondialisation n’irait pas sans la construction patiente d’un
ordre supranational dont l’Union européenne était le modèle le plus accompli,
si imparfait soit-il.
Dès les années soixante, Michel
Albert avait eu l’occasion d’affirmer son engagement européen et humaniste,
lors d’une collaboration avec Jean-Jacques Servan-Schreiber, éphémère leader du
parti radical, auprès duquel sa faculté de séduction s’était exercée. Après avoir
largement participé à la rédaction du défi
américain, best seller paru en 1968 sous la signature de JJSS,
il affirma ses convictions dans Ciel et
terre, manifeste du parti radical.
Nommé commissaire au Plan en 1978,
il eut le courage de dénoncer auprès de Raymond Barre, Premier ministre de
Valéry Giscard d’Estaing, le risque d’apparition d’un chômage de masse. Revenu
quelque temps à l’inspection des finances, à la suite de l’arrivée de la Gauche
au pouvoir, il fut nommé en 1982 à la présidence des Assurances Générales de
France, récemment nationalisées, fonction qu’il exercera jusqu’en 1994.
Elu à l’Académie des sciences
morales et politiques en mars 1994, il accède à la présidence de l’Académie en
2004 et exerce les fonctions de Secrétaire Perpétuel de 2005 à 2010. Son
intérêt pour l’Europe se traduit par diverses contributions : sur le
couple franco-allemand, la réception de Jean-Claude Juncker comme membre
associé étranger, la France et la mondialisation, enfin l’organisation d’un
cycle de Regards croisés sur l’Europe auquel j’eus l’honneur de participer sur
le thème d’une réforme des Nations Unies inspirée par l’expérience européenne.
L’engagement européen de Michel Albert et ses
talents exceptionnels de pédagogue lui ont valu d’être appelé à participer à de
multiples organismes voués à cette cause parmi lesquels l’AFEUR (Association
française d’études pour l’Union européenne), l’ARRI (Association réalités et
relations internationales) dont il était membre du comité de parrainage, la
LECE (Ligue européenne de coopération économique), le Mouvement européen, la
Fondation Robert Schuman, le CIFE (Centre International de Formation Européenne)
dont il sera président en 2004, puis président d’honneur en 2006. Il était
également président d’honneur de la branche française de l’Union européenne des
fédéralistes (UEF France).
Les engagements de Michel Albert
étaient indissociables d’une conviction religieuse à laquelle il était resté
fidèle et qu’il partageait avec une épouse qui lui était très proche et qui
contribua grandement à son rayonnement.
Oeuvres.
- 1970 :
Ciel et terre, manifeste du parti radical, en collaboration avec Jean-Jacques Servan-Schreiber,
Éd. Denoël
- 1975 :
Les Vaches maigres, en collaboration avec Jean
Ferniot, Éd. Gallimard
- 1982 :
Le Pari français : le nouveau plein emploi, Éd. Le Seuil (ISBN 978-2-0200-6197-1 et 2-0200-6197-X)
- 1983 :
Un pari pour l'Europe : vers le redressement de l'économie
européenne dans les années 80, collection « L'Histoire
immédiate », , Éd. Le Seuil, 152 p. (ISBN 978-2-0200-6606-8 et 2-0200-6606-8)
- 1988 :
Crise, krach, boom, en collaboration avec Jean
Boissonnat, Éd. Le Seuil (ISBN 978-2-0201-0087-8 et 2-0201-0087-8)
- 1991 :
Capitalisme contre capitalisme, Éd. Le Seuil, 315 p. (ISBN 978-2-0201-3207-7 et 2-0201-3207-9)
- 1993 :
Les nouvelles frontières de l'Europe, en collaboration avec Pascal
Lorot, Fondation Robert Schuman, Éd. Economica 216 p.
(ISBN 978-2-7178-2435-3 et 2-7178-2435-9)
- 1999 :
Une seule Europe, par Christopher Layton
(préface de Michel Albert), Éd. Economica
- 2002 :
Notre foi dans ce siècle, en collaboration avec Jean
Boissonnat et Michel Camdessus, Éd. Arléa (ISBN 978-2-8695-9560-6)
- 2005 :
Regards croisés sur l'Europe, Éd. PUF (ISBN 978-2-1305-4990-1 et 2-1305-4990-X)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire