Observatoire du 27 janvier 2015
L’Europe
après les attentats
En ce début d’année,
deux événements dominent l’actualité européenne, les attentats terroristes de
Paris et les initiatives visant à dynamiser la croissance dans une zone euro
menacée de déflation. On peut ajouter l’aggravation du conflit en Ukraine et le
résultat des élections grecques.
Conséquences
des attentats pour l’Europe
La marche du 11 janvier
était une marche pour les valeurs européennes. La présence sans
précédent des principaux dirigeants de l’UE aurait été plus significative si un
plus grand nombre de drapeaux aux douze étoiles avaient été brandis par les
marcheurs. Cela aurait compensé la gêne que l’on pouvait ressentir du fait de
certaines présences. Les réactions populaires violentes à l’ultime caricature
publiée par Charlie Hebdo, y compris dans des pays qui ont bénéficié de notre
protection contre les islamistes appellent une réponse forte et solidaire des
Européens.
Trop peu a été fait pour développer la fierté d’être
européens, pour mettre en lumière les bienfaits de toute sorte qu’apportait la
construction européenne, alors même que ceux-ci ont été longtemps évidents. Un
grand dessein ne peut se passer de symboles. Or ceux-ci ont été éliminés du
traité de Lisbonne, satisfaction dérisoire donnée aux nonistes français et
néerlandais de 1985, mais terrible aveu de renoncement.
Quelles conséquences pour les politiques de l’Union ?
La priorité devrait être une intensification des échanges de renseignements et
la répression des incitations au terrorisme sur les réseaux sociaux. Occasion
de renforcer Europol, Eurojust et le Délégué à la coordination de la lutte
contre le terrorisme. Deux obstacles. La tendance de chacun à garder ses
secrets, même à l’intérieur de chaque Etat. Les objections au nom des libertés,
le désir de ne pas répéter les excès du Patriot Act. Où placer le
curseur entre sécurité et liberté ? Il semble que le Parlement
s’apprête à lever ses objections au fichage des voyageurs aériens (passenger name record). Un renforcement
des contrôles à la frontière extérieure est la meilleure réponse aux
invocations démagogiques et irréalistes au rétablissement des contrôles aux
frontières intérieures.
Schengen,
l’immigration et l’asile
La libre circulation dans l’UE est un acquis auquel les
citoyens sont attachés, notamment les jeunes qui, toujours plus nombreux, font
une partie de leurs études à l’étranger, qu’ils bénéficient ou non d’une bourse
Erasmus, ou y trouvent un emploi qu’ils n’ont pu trouver dans leur propre pays.
Or cet acquis risque d’être mis en cause par l’incapacité des Européens à
définir une politique commune en matière d’immigration et d’asile. Les opinions
sont partagées entre la crainte d’une vague migratoire menaçant les systèmes
sociaux et les identités et la compassion à l’égard des malheureux qui fuient,
au péril de leur vie, des pays livrés à l’anarchie et à la guerre civile, sur
fond de terrorisme islamiste. L’Italie, dans le cadre d’un programme appelé Mare nostrum a sauvé environ 160 000
naufragés avant de passer le relai à l’UE dont la solidarité se borne à
déployer des navires dont la mission est de faire obstacle à l’immigration
illégale plutôt que de secourir des naufragés. Face à la méthode nouvelle
consistant à entasser des centaines de personnes sur des navires-poubelles
abandonnés au large des côtes, l’Italie n’a pas d’autre choix que les
accueillir, au risque de se voir non pas félicitée pour sa générosité mais
accusée d’encourager les vocations à la
migration. L’UE dans son ensemble n’a accueilli qu’environ 4% des réfugiés
syriens, les autres se répartissant entre Turquie, Liban et Jordanie. La France
elle-même en a accueilli un nombre très limité. Le règlement de Dublin imposant au pays
d’entrée d’assumer seul l’accueil des migrants entrés illégalement sur son
territoire est une entorse de moins en moins admissible au principe de
solidarité européenne. L’évolution de la situation en Irak, en Syrie, au Yémen,
en Erythrée, en Somalie, en Lybie ne permet pas d’espérer un ralentissement du
flux de réfugiés ayant droit à l’asile.
Un problème analogue de solidarité se pose pour la France
qui assume, principalement en Afrique, des charges qu’elle aimerait voir
partagées ou au moins déduites des déficits publics au regard de la règle des
3%. L’organisation d’une solidarité face aux périls extérieurs, hors OTAN,
supposerait un cadre institutionnel, coopération structurée prévue par Lisbonne
mais non utilisée, et un budget. Le seul
instrument incontestable de solidarité est le budget européen. En l’absence
d’une compétence reconnue à l’UE en matière de sécurité extérieure et de
décisions explicites du Conseil européen, il est difficile de parvenir à un
accord de partage des responsabilités, notamment financières. Dès lors chacun
doit assumer les dépenses correspondant à sa participation à des actions
collectives. Ainsi en est-il de l’un des succès méconnus de l’Europe en matière
de sécurité, l’opération Atalante de lutte contre le piratage au large de la
Somalie. L’Europe-puissance que prétend souhaiter la France demeurera un rêve
tant que n’existera pas un budget de défense ou, mieux, un chapitre défense
dans le budget de l’UE qui, au demeurant, devrait couvrir non seulement les
opérations militaires décidées par l’UE mais aussi et d’abord les dépenses de
recherche en matière d’armes nouvelles et de moyens modernes de communication.
Quels Etats y seraient disposés ? Sûrement pas le Royaume-Uni ! Mais
quid de la France et de l’Allemagne ?
L’énigme
Poutine
Les relations avec la Russie de Poutine donnent lieu,
notamment en France, à un curieux débat. La politique des sanctions largement
justifiées par les ingérences en Ukraine, pour ne pas parler de l’annexion de
la Crimée, est contestée par une coalition qui réunit l’extrême gauche,
l’extrême droite ainsi que quelques parlementaires de l’UMP. Au plan de la
politique européenne, on peut regretter que l’accord d’association avec
l’Ukraine ait été négocié sans tenir compte des liens historiques avec la
Russie. Les différences de sensibilité entre d’une part, Polonais et Baltes,
redoutant les tendances impérialistes de Poutine d’autre part Français et
Allemands, soucieux d’éviter une aggravation du conflit n’ont pas fait obstacle
aux décisions. La livraison des Mistral place la France dans une situation
particulièrement difficile. En définitive, l’UE est en face du choix classique
entre politique de principes et realpolitik. La propagande anti-occidentale
violente et unilatérale en œuvre à Moscou ne plaide pas en faveur du compromis.
La chute des cours du pétrole aggrave considérablement le poids des sanctions,
au point que certains redoutent un effondrement de l’économie russe qui ne
serait pas à notre avantage.
Les
problèmes de la zone euro
Malgré une conjonction exceptionnellement favorable (baisse
du pétrole, baisse de l’euro, stabilité à niveau bas des taux d’intérêt), la
croissance demeure médiocre dans la zone euro alors que la reprise est vive aux
USA et même au RU. Certains redoutent une déflation qui pourrait, par anticipations
de baisse des prix enclencher un processus récessif.
Face à cette
situation deux initiatives : le plan Juncker, le plan Draghi. L’un et
l’autre soulèvent la querelle de l’endettement. C’est aujourd’hui le principal sujet
de désaccord entre économistes (libéraux contre keynésiens) et entre Allemagne
et France. Pour les uns le poids excessif de l’endettement public nuit à la
confiance et ralentit l’investissement. Il convient donc en priorité de réduire
le déficit. Pour les autres, une réduction trop rapide du déficit, par
l’augmentation des impôts ou la baisse des dépenses, ne peut que ralentir la
croissance et rendre plus difficile la réduction du déficit et de la dette. Le
bon compromis consisterait à combiner souplesse budgétaire et audace dans les
réformes.
Un autre débat, celui de la capacité d’emprunt de l’UE,
vient se greffer sur celui de l’endettement des Etats. Les Etats sont endettés
(France : 95% du PIB), l’Europe ne l’est pas. Dans une vision fédéraliste,
un Trésor européen pourrait favoriser la croissance en empruntant pour financer
de grands équipements ou encore des programmes d’innovation. Un Trésor européen
supposerait un budget européen alimenté par des impôts européens. La résistance
à cette réforme fondamentale est vive de chaque côté du Rhin, davantage pour
des raisons de souveraineté en France, de rigueur financière en Allemagne.
Peut-on durablement maintenir une monnaie unique non adossée à un Etat ?
Le plan Juncker est une tentative de compromis :
relance par l’investissement mais en faisant appel à la BEI (Banque européenne
d’investissements) et en espérant mobiliser des fonds privés, grâce à la
qualité des projets, voire à des garanties de l’UE. Vingt à trente milliards de
fonds publics génèreraient plus de 300 milliards d’investissements, ce qui est
peu à l’échelle de l’UE. La faisabilité du plan et son efficacité restent à
démontrer.
Mario Draghi avait promis de faire ce qui serait nécessaire
pour sauver l’euro. Après avoir obtenu un feu vert de la Cour de Justice et,
semble-t-il, un feu orange de Berlin, il a annoncé un programme massif d’achats
de dette souveraine (60 milliards par mois pendant 18 mois, au moins 1140
milliards). Ce quantitative easing à
l’européenne vise à favoriser la relance et à prévenir le risque de déflation.
La mutualisation des risques de défaillance ne sera que très partielle, chaque
banque centrale nationale en assumant 80%. Cette restriction à la solidarité
destinée à rassurer l’Allemagne me parait théorique. On n’imagine pas que la
BCE laisserait sans appui une banque nationale en difficulté.
La reprise de la croissance, but commun de ces plans,
suppose la poursuite des efforts de réduction des déficits, un retour de la
confiance, mais aussi une meilleure exploitation par les Européens des
opportunités créées par la révolution informatique.
Les
élections grecques
Il est trop tôt pour juger des conséquences des élections
grecques. Les promesses de Syrisa et de son jeune leader charismatique Tsipras
menacent un équilibre budgétaire péniblement acquis. Il n’est pas surprenant
que les Grecs, très sévèrement sanctionnés pour les fautes de leurs dirigeants,
éprouvent le désir d’une remise de peine. Les négociations en vue d’un nouvel
allègement de la dette (étalement des échéances, baisse des taux d’intérêt)
seront très difficiles, notamment par crainte d’un précédent encourageant un
laxisme généralisé. L’accord passé par Syrisa avec une formation souverainiste
et xénophobe laisse craindre une logique d’affrontement qui pourrait conduire à
une sortie de la zone euro qui ferait perdre à la Grèce le bénéfice des efforts qui lui ont
été imposés et constituerait un mauvais signal pour la pérennité de l’union
monétaire.
L’excès
de réglementation
L’une des premières décisions de la Commission Juncker a
été le retrait d’une cinquantaine de propositions concernant pour la plupart
l’environnement et la santé. Décision qui a immédiatement provoqué la
protestation des écologistes. Il est vrai que les directives européennes
irritent souvent, notamment quand l’administration nationale « en rajoute »
dans la transposition. Le souhait de voir
l’Europe se concentrer sur les affaires majeures parait relever du bon
sens. Il faut cependant rappeler que le niveau de protection de l’environnement,
des consommateurs et de la santé publique ne serait pas ce qu’il est sans
l’Europe. Exemples : les pots catalytiques, violemment contestés par
Jacques Calvet, alors patron de Peugeot, les obligations imposées aux
agriculteurs (herbages, protection des cours d’eau), Natura 2000 à quoi nous
devons la préservation de nombreux sites naturels, les directives relatives à
la sécurité alimentaire qui nous permettent d’exporter en Chine notre lait pour
bébés, enfin la réglementation des produits chimiques contestée par l’industrie
mais soutenue par l’opinion. Il est vrai que le jugement de l’opinion est sujet
à des emballements irrationnels (OGM, nucléaire) qui varient suivant les Etats
et paralysent l’action de l’UE. Celle-ci doit-elle s’intéresser à la chasse, au
bien-être animal ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire