31 décembre 2015

Une fin d'année morose

Paris, 31 décembre 2015.

 Jamais plus qu’en cette fin d’année n’a paru plus abyssal le gouffre qui sépare ce que devrait faire l’Europe de son comportement effectif. Qu’il s’agisse du drame des migrants, de la menace terroriste, de la consolidation de la zone euro, du défi climatique, le besoin de politiques conçues et exécutées à l’échelle du continent crève les yeux. Paralysés par les pulsions nationalistes, quand ils ne les suscitent pas eux-mêmes comme en Pologne ou en Hongrie, les gouvernements sont incapables de prendre des décisions qui s’imposent et quand, exceptionnellement, ils les ont prises, ils sont incapables de les mettre en œuvre. Seule la Chancelière Angela Merkel dispose d’une autorité suffisante pour faire accepter à son peuple un accueil des migrants généreux mais nécessairement impopulaire. On aimerait qu’elle fasse preuve du même courage s’agissant de la lutte contre Daech, de la solidarité envers la Grèce, de l’abandon des centrales électriques au charbon. Ne lui demandons pas l’impossible. Ce n’est pas à l’un des leaders nationaux, fut-il le plus puissant, de tracer la voie, mais à l’instance commune de proposition que devrait être la Commission. Mais dans le climat actuel de repli national reconnaissons que la tâche n’est pas facile. Peut-être l’excès du mal conduira-t-il à un sursaut. C’est le vœu que je forme pour 2016.     

11 décembre 2015

Le défi de Daech

Paris 11 décembre

Ci-dessous un résumé de mon exposé d'hier devant le club Europe d'ARRI.

    L’Europe, en cet automne, va de crise en crise. Les attentats du 13 novembre ont occulté momentanément la crise provoquée par un afflux sans précédent de réfugiés principalement mais pas seulement syriens. La solidarité européenne est mise à l’épreuve alors qu’elle est plus nécessaire que jamais.   


La solidarité européenne face aux attentats

    Pour la première fois, la France a fait appel à l’article 42 § 7 du traité de Lisbonne. La solidarité prévue en cas d’agression armée s’est traduite notamment par un vote de la Chambre des Communes autorisant des bombardements contre Daech en Syrie, bientôt suivi par un vote du Bundestag. La tentative du président Hollande, avant toute concertation européenne, de constituer une très large coalition s’est heurtée à la diversité des objectifs de ses interlocuteurs. L’exclusive à l’égard du dictateur syrien a été abandonnée face à Poutine. Mme Merkel a initié un contact avec le président turc Erdogan qui ont conduit à des engagements inconsidérés envers la Turquie dans l’espoir que, moyennant finances, elle  retiendrait les réfugiés sur son territoire

    L’ambiance générale de crispation sur les souverainetés nationales fait obstacle aux décisions qui devraient s’imposer. Faute d’une agence commune, l’échange des renseignements demeurera lacunaire ; le fichage des passagers aériens tarde à être mis en œuvre ; même renforcés, les crédits de Frontex n’en feront pas le puissant corps de garde-frontières qu’exigerait la sécurité européenne ; la création d’un Parquet européen demeurera le rêve de quelques juristes éclairés. Pour qu’il en aille autrement, il faudrait qu’un noyau d’Etats aient la volonté inébranlable d’aller de l’avant, de mettre en place une politique migratoire, d’élaborer une doctrine commune de sécurité, une stratégie de relations extérieures intégrant des orientations dont les divergences ne devraient pas être insurmontables. Mme Mogherini dont les talents sont sous-exploités, bien que leur qualité ait été reconnue à propos de l’Iran, pourrait y contribuer.
La décision de procéder dans des sites baptisés hot spots situés à la frontière de l’Union au contrôle des migrants suppose que l’on accueille ceux qui peuvent prétendre à l’asile et refoule ou renvoie les autres dans leur pays d’origine. Ce seul objectif justifierait une attitude de très grande fermeté à l’égard des dits pays. On ne peut enfin ignorer les drames humains auxquels ce tri donne lieu tout comme l’érection de clôtures physiques non accompagnées de lieux d’hébergement.


Réfugiés et migrants, un défi sans précédent

L’ampleur prise par l’afflux de réfugiés demandeurs d’asile débarquant désormais principalement sur les îles grecques de la mer Egée place l’UE face à un défi redoutable et sans précédent. Plus d’un million de malheureux, en majorité venant de Syrie, auront été accueillis principalement en Allemagne et en Suède. Après une phase d’accueil particulièrement généreux en Allemagne sous l’impulsion de Mme Merkel, la saturation est atteinte. La fermeture des frontières, si elle devait se prolonger, mettrait en danger un acquis essentiel de l’UE. Mme Merkel est contestée dans son propre parti. La décision prise à la majorité sur proposition de la Commission de répartir les migrants demandeurs d’asile entre les Etats suivant des critères objectifs soulève de vives oppositions se traduisant par des recours devant la Cour de Justice de la part de plusieurs pays d’Europe centrale, notamment de la nouvelle majorité d’extrême droite issue des récentes élections polonaises. Donald Tusk, bien qu’ancien leader polonais europhile et nommé à la présidence du Conseil européen avec l’appui de la Chancelière, vient de prendre ses distances.
  La France, après avoir tergiversé sur les quotas, les a d’autant plus aisément acceptés que les migrants se détournent d’un pays souffrant d’un niveau de chômage élevé. L’incapacité où se trouve la France de retrouver un taux de croissance permettant d’obtenir la toujours attendue inversion de la courbe du chômage contribue, avec le marasme persistant de la Grèce, à faire peser une menace sur l’avenir de la zone euro. Bien que les attentats du 13 novembre constituent la circonstance exceptionnelle prévue par les traités, la déclaration du président Hollande suivant laquelle le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité ne contribuera pas à rétablir la confiance, pas plus que le succès de l’Extrême-Droite aux élections régionales.
Les perspectives sont inquiétantes. L’accentuation de la guerre en Syrie ne peut qu’entretenir le flot de réfugiés dont on ne sait si la Turquie pourra ou voudra le freiner. L’implantation de Daech sur le littoral libyen autour de Syrte fait craindre la reprise au printemps d’un nouveau flot en direction de l’Italie. L’accord annoncé entre les deux gouvernements de Tobrouk et de Tripoli est une lueur d’espoir qui reste à confirmer.

Les exigences de Cameron                                          

Le Premier britannique a enfin précisé les concessions qui lui permettraient de recommander un vote favorable au maintien du Royaume dans l’UE lors du référendum qu’il a imprudemment promis aux eurosceptiques de son parti. Elles concernent les droits sociaux des migrants, un droit de veto des parlements nationaux, la garantie des intérêts des pays hors zone euro et l’abandon de l’objectif d’une « union sans cesse plus étroite ». La négociation sera difficile, notamment pour les droits sociaux, toute discrimination devant être évitée. Il faut espérer que les partenaires du Royaume-Uni limiteront à celui-ci l’abandon de l’objectif de l’union plus étroite et que la garantie des intérêts des pays hors zone euro aura la contrepartie qui s’impose : la renonciation par les représentants du R-U au droit de participer aux décisions concernant les politiques auxquelles ils ne participent pas et n’ont pas l’intention de participer ultérieurement.
L’europhobie britannique n’est pas sans écho sur le continent ainsi que vient de le montrer un référendum négatif au Danemark ou nos élections régionales. Peu a été fait pour développer un sentiment d’allégeance sans lequel l’UE peine à s’affirmer. 

16 novembre 2015

Négocier avec Cameron


            Paris, 16 novembre

            Face aux demandes de Cameron – rejet pour le RU de l’union toujours plus étroite, veto des parlements nationaux, sauvegarde des intérêts des Etats hors zone euro, union plurimonétaire, délai de carence pour les droits sociaux des migrants – nul ne semble s’intéresser aux contreparties qu’il serait opportun d’exiger du RU. Il en est cependant deux qui devraient s’imposer. La première concerne le droit qui devrait être reconnu aux membres de la zone euro d’utiliser les institutions de l’UE pour gouverner le groupe plus intégré auquel Cameron déclare ne pas s’opposer. Il convient de s’assurer que, dans les institutions représentatives des peuples ou des Etats – Parlement et Conseil --  seuls les membres des pays concernés participeront aux décisions ne concernant qu’eux. En revanche, cette règle ne s’appliquerait pas à la Commission dont les membres ne sont pas les représentants des Etats et qui a pour mission de veiller à l'intérêt général de l'Union. La deuxième contrepartie que devrait imposer les circonstances présentes n’est autre qu’une confirmation des engagements souscrits par le RU dans le traité de Lisbonne en matière de sécurité et de défense. Cameron invoque à l’appui de ses demandes le rôle de son pays dans la défense de l’Europe mais s’est opposé systématiquement à tout ce qui pourrait donner une personnalité distincte à l’UE dans ce domaine. Ainsi la « coopération structurée » prévue par le traité n’a-t-elle pu être mise en œuvre. Il pourrait être à tout le moins demandé à Cameron de consentir à une augmentation significative du budget de l’agence des armements et à la mise en place d’un état-major européen.     

05 novembre 2015

Le diesel ou comment on rend l'Europe impopulaire

            Paris, 5 novembre.

            Bruxelles, nous dit-on, a cédé aux lobbyistes du diesel. Que s’est-il passé en réalité ? Dans le comité technique composé d’experts désignés par les Etats qui assiste la Commission les représentants de l’Allemagne, de la France et du Royaume-Uni ont fait pression pour obtenir un allègement des contraintes imposées aux constructeurs automobiles. C’est pour échapper à ces contraintes que Volkswagen s’est rendu coupable des tricheries que l’on sait. Il semble en effet que les exigences contenues dans le projet initial de la Commission étaient difficilement atteignables. Qu’elle soit accusée de céder aux pressions des lobbies ou de se montrer trop rigoureuse, la Commission est toujours le mouton noir alors que son rôle est de défendre l’intérêt commun face aux Etats. Cette affaire montre l’importance prise par les normes dans les négociations internationales, celle notamment du traité de partenariat transatlantique qui commence à soulever des passions largement irrationnelles.    

28 octobre 2015

Diviser pour régner

            Platier, 27 octobre.

            Diviser pour régner. Telle est la stratégie de Poutine face aux Occidentaux et plus particulièrement face à l’UE. Les réunions à propos du drame syrien se multiplient dans différents cadres dont l’UE, en tant que telle, est toujours exclue. Les bombardements intensifs russes visant les révoltés syriens plutôt que Daech ont certes pour objectif premier de sauver Assad. Mais ils contribuent aussi à multiplier les départs de réfugiés vers l’Europe, source majeure de difficultés pour les Européens, malgré les efforts louables de Juncker. Jamais mieux qu’aujourd’hui on mesure ce que coûte à l’Union son incapacité à se doter, d’une politique étrangère commune. Plutôt que refuser tout contact avec Assad, la diplomatie française pourrait, avec l’appui de l’Allemagne, exiger la définition préalable d’une attitude commune de l’UE. Tout eurosceptiques qu’ils se veuillent, les nouveaux dirigeants polonais ont besoin de la solidarité européenne face à la Russie et pour le soutien au décollage de leur économie. Ils ne devraient pas tarder à s’en apercevoir. Reste l’inconnue britannique. Comment Cameron pourra-t-il convaincre son peuple de demeurer dans une Union sans ambitions et sans avenir ?   

19 octobre 2015

Cameron piégé par son référendum

Platier 18 octobre.

L’excellent hebdomadaire the Economist consacre un cahier spécial inséré dans son numéro de cette semaine à dénoncer les dangers que fait courir au Royaume-Uni et à son premier ministre le référendum sur l’UE. Les concessions, dérogations ou interprétations que peut espérer obtenir Cameron, sur l’union toujours plus étroite, la protection des pays non membres de la zone euro, les droits des parlements nationaux, le droit social, l’immigration seront insuffisantes pour satisfaire les europhobes. Après avoir mois après mois multiplié les critiques de l’Union, Cameron aura du mal à vanter ses mérites. En cas de vote favorable à la sortie (Brexit), on peut s’attendre, selon the Economist, à la démission du premier ministre et à l’éclatement du Royaume, l’Ecosse se refusant à quitter l’Union. 

06 octobre 2015

Où est l'Europe?

Paris, 6 octobre

Aucun commentateur n’a souligné l’absence d’un représentant de l’UE lors de la réunion du 2 octobre à l’Elysée sur la crise ukrainienne. Hollande, Merkel, Poutine et Porochenko ont pris la sage décision de reporter à des temps meilleurs les élections que les rebelles pro-russes envisageaient de tenir en octobre. Il n’en est pas moins fâcheux que de telles réunions puissent se tenir sans la présence d’un représentant qualifié de l’UE, Tusk, Juncker ou Mogherini. C’est faire une concession indue à Poutine qui redoute l’affirmation d’une puissance européenne, mais c’est aussi envoyer un mauvais signal à tous ceux qui ne se sentent pas représentés par les seuls dirigeants allemand et français, alors que tout devrait être fait pour favoriser l’esprit d’unité dans l’ensemble de l’Union.

27 septembre 2015

L'Europe au défi des réfugiés

L’Europe face au défi des réfugiés
Paris 27 septembre 

          Le défi migratoire a changé de nature. A une migration à motivation économique provenant principalement d’Afrique, s’est ajouté un exode massif de réfugiés victimes de guerres civiles et de régimes tyranniques, venant principalement de Syrie. La photo d’un enfant de trois ans noyé sur une plage turque a suscité un mouvement mondial de sympathie. La chancelière allemande a pris la tête de ce mouvement soutenu par la majorité de l’opinion en Europe occidentale. Elle a décidé de ne plus renvoyer les réfugiés dans le pays de leur première entrée dans l’UE, ainsi que le prévoyait la convention de Dublin, et s’est dite prête à examiner 800 000 demandes d’asile au cours des deux prochaines années. Puis, face à l’ampleur imprévue des arrivées et à la saturation des structures d’accueil, la Chancelière a fait une brusque marche arrière en décidant d’avoir recours aux dispositions des accords de Schengen qui permettent le rétablissement des contrôles à titre provisoire. Contrairement à des commentaires erronés, la libre circulation des ressortissants de l’UE n’est nullement mise en cause. Par la voix du vice-chancelier Sigmar Gabriel, l’Allemagne a justifié ce retournement par l’absence de solidarité de ses partenaires. Sa disponibilité à recevoir autant de réfugiés n’en a pas moins contribué à transformer l’image de l’Allemagne et de sa chancelière et à créer une émulation bienvenue de la générosité. On peut cependant regretter l’absence de consultation préalable à ces décisions qui ont contribué à grossir la vague des demandeurs d’asile.
 Le président Hollande, après avoir rejeté, au printemps, la proposition initiale de la Commission européenne d’une répartition de l’effort suivant des critères objectifs, s’y est finalement rallié, tout en  annonçant que la France accueillerait 24 000 réfugiés dont un millier venant d’Allemagne comme marque de solidarité envers notre partenaire. Paradoxalement, l’arrivée de nouveaux réfugiés venant de Munich où des représentants de Paris sont allés les chercher a eu pour effet d’améliorer l’accueil de migrants antérieurs pour lesquels des hébergements se sont soudain révélés disponibles. La situation de la France où le Front national représente un quart de l’électorat n’en est pas moins bien différente de celle d’une Allemagne dont les finances sont en ordre et qui souffre d’une pénurie de main d’œuvre et d’une natalité en berne. Bien qu’un élan de générosité se soit également manifesté en France, les sondages révèlent une division de l’opinion en deux fractions presqu’égales. Bien plus négatives apparaissent les réactions en Europe centrale où toute obligation d’accueil de populations en majorité musulmanes est considérée comme un risque pour l’identité nationale. A signaler cependant l’appel à la solidarité lancé par une centaine de personnalités d’Europe centrale.
Le Conseil européen a entériné le 23 septembre la décision prise la veille par les ministres  de l’intérieur à la majorité qualifiée et sur proposition de la Commission, de répartir 120 000 réfugiés. Le ralliement de la Pologne a facilité une décision conforme à la logique des institutions, bien que l’absence d’unanimité ait été présentée comme un échec. Les opposants étaient la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie. En revanche, un consensus s’est établi en faveur d’un renforcement des contrôles à la frontière extérieure, de la création de centres d’accueil en Italie et en Grèce et d’une aide accrue aux organismes onusiens en charge des réfugiés séjournant en Turquie, en Jordanie et au Liban. On espère ainsi endiguer le flot et distinguer les demandeurs d’asile des migrants économiques.
De multiples questions demeurent : répartition des réfugiés dont le nombre excèdera vite le chiffre de 120 000, harmonisation des critères de l’asile, modalités du renvoi des migrants économiques qui supposent des négociations avec les pays d’origine, recherche de concours financiers auprès des pays du Golfe qui se refusent à accueillir les réfugiés malgré leur commune appartenance sunnite.

                              Un imbroglio diplomatique

L’Orient compliqué vers lequel le général de Gaulle affirmait se diriger avec des idées simples est plus compliqué que jamais. Le dictateur syrien Assad qui massacre sa population bénéficie de l’appui  de la Russie, de l’Iran et du hezbollah chiites. Une guerre civile à partenaires multiples se poursuit en Syrie, ravage son économie, sa population et ses trésors culturels. Le prétendu Etat islamique Daech contrôle les déserts d’Irak et de Syrie. Il multiplie les actes de barbarie et combat à la fois l’armée d’Assad, les Kurdes qui tiennent la frontière nord et une armée irakienne sans consistance. Une coalition anti-Daech réunit les Saoudiens et les Occidentaux, la doctrine wahabite n’étant cependant pas étrangère à la naissance d’un khalifa islamique à prétention universelle. La Turquie a tardé à se rallier à la coalition mais accorde une priorité absolue à sa lutte contre les Kurdes du PKK. La Russie, dont la Syrie est le seul point d’appui dans la région et qui dispose de la base de Tartous, voit dans la crise actuelle le moyen d’affirmer sa puissance. Poutine propose la constitution d’une large coalition anti-Daech qui comprendrait, outre la Russie, la Syrie d’Assad. Les Occidentaux se trouvent ainsi placés devant la perspective de se résigner à la survie du régime syrien, Daech apparaissant comme l’ennemi principal. Un mouvement de rapprochement tactique entre Moscou et Washington s’amorce sans que les Européens y soient apparemment associés. Une sortie de crise passerait par une réconciliation des puissances régionales (Arabie, Iran, Turquie) qui s’affrontent en Syrie.  L’accord nucléaire conclu avec l’Iran, principal soutien d’Assad, pourrait-elle faciliter une évolution, alors que Turquie et Arabie espèrent sa chute ?
   Combien dérisoire parait, dans ces conditions, le débat ouvert en France sur l’opportunité d’une intervention terrestre à laquelle une majorité de l’opinion, révulsée par les atrocités de Daech, serait favorable mais dont nous n’avons pas les moyens ! Les frappes aériennes, auxquelles participe la France,  ont contribué à contenir Daech mais ne permettront pas de l’éliminer alors qu’il bénéficie du soutien de la population sunnite maltraitée par le régime irakien. Mais nul, à commencer par Obama, n’est prêt à faire la guerre sur le sol syrien. Contribuer à une solution sans trahir nos principes devrait inspirer la stratégie de l’Europe si la politique étrangère et de sécurité commune inscrite dans les traités ne demeurait hélas une fiction.  

                              La crise grecque : un climat apaisé

La crise des réfugiés a occulté le problème grec, tout comme celui de l’Ukraine.
Un troisième plan d’aide à la Grèce a été approuvé par l’Eurogroupe le 14 août après des négociations laborieuses. Les économies et les réformes finalement acceptées par le premier ministre Tsipras ont provoqué l’éclatement de son parti et le recours à de nouvelles élections. Le remplacement du flamboyant Yanis Varoufakis par George Chouliarakis très apprécié par les membres de l’Eurogroupe a considérablement amélioré le climat des relations avec la Grèce.
Il reste à résoudre le problème posé par le montant d’une dette qui fait peser sur la Grèce une charge insupportable de l’avis même du FMI. L’Allemagne souhaite s’en tenir à la prolongation des délais de remboursement et à un allègement des intérêts. Il n’est pas sûr que cela soit suffisant pour rétablir la confiance des investisseurs.
Les élections du 20 septembre ont accordé à Tsipras un succès plus large que celui prévu par les sondages. Il lui a permis de reconstituer sa majorité et son alliance avec un petit parti souverainiste. La fraction dissidente de Syrisa n’a pas atteint les 3%. Elle ne sera pas représentée au Parlement. Une relative stabilité est ainsi assurée. Reste à voir si Tsipras sera capable de conduire des réformes auxquelles il s’est engagé mais qu’il ne cesse de désapprouver.

                              Le gouvernement de la zone euro

La crise migratoire a occulté le débat sur la gouvernance et le renforcement de la zone euro. Un débat de doctrine persiste entre ceux qui font du retour à l’équilibre des budgets et de la réduction de l’endettement la condition préalable d’un retour durable à la croissance et ceux qui voient dans ce qu’ils appellent l’austérité budgétaire la cause de la stagnation. A ce débat qui, en France, divise le parti socialiste, se surajoute, dans la perspective de la Cop 21, un autre débat sur la nature d’une croissance de plus en plus dépendante des nouvelles technologies et de la transition énergétique. Le succès de la réunion de Paris est largement subordonné à la mobilisation de ressources suffisantes pour répondre aux attentes des pays en développement. Le produit de la taxe sur les transactions financières devrait contribuer à cette mobilisation.
 La création, proposée par la France, d’une gouvernance propre à la zone euro, demeure fort vague et semble en contradiction avec le refus des abandons de souveraineté budgétaire. S’agit-il de désigner un ministre des finances, comme l’envisage Pierre Moscovici, mais aussi Benoit Cœuré, de réunir une assemblée parlementaire ? Le président Tusk insiste sur l’achèvement de l’union bancaire par la garantie des dépôts. Jean-Claude Junker plaide en faveur d’une représentation unifiée de la zone euro au FMI. La création d’un parlement de la zone euro où siègeraient des élus nationaux rencontrerait une vive opposition du Parlement européen ainsi que de la part des Etats qui envisagent d’adopter l’euro à plus ou moins brève échéance et ne veulent pas être exclus des délibérations. Un compromis, lui-même très incertain, pourrait consister à créer une commission de l’euro au sein du Parlement européen (Daniela Schwarzer du German Marshall fund) et/ou à autoriser les parlementaires européens non membres de la zone euro à participer aux débats sans droit de vote.
L’abaissement de la note de la France par Moody’s vient de nous rappeler l’insuffisance de nos réformes, en dépit des efforts louables mais contestés de Macron. L’opposition de droite qui préconise des économies massives tout en protestant contre la réduction des subventions aux collectivités locales est  en pleine schizophrénie.

                    La crise de l’élevage

La suppression des quotas laitiers, les mesures de rétorsion imposées par la Russie, le ralentissement de la croissance chinoise s’ajoutant aux fluctuations cycliques du marché du porc ont provoqué une baisse des prix qui place les éleveurs dans une situation difficile. On mesure à cette occasion le retard pris en France dans la modernisation des filières et aussi la concurrence jugée déloyale résultant des bas salaires pratiquée en Allemagne, notamment dans les abattoirs. On peut aussi s’interroger sur le bien-fondé de l’abandon de toute limitation quantitative de la production laitière et sur l’avenir d’une industrialisation à outrance de l’élevage. Ces questions ne vont pas manquer d’alimenter le débat européen au cours des prochains mois.
                    Le traité de partenariat transatlantique

Le traité de partenariat et de libre-échange négocié avec les Etats-Unis dans une opacité dénoncée avec quelque exagération donne lieu à de vives oppositions particulièrement virulentes en Allemagne où les organisations de consommateurs et les écologistes redoutent un affaiblissement des protections propres à l’Europe. La Commission qui négocie sur mandat du Conseil mais avec un appui très discret des gouvernements fait valoir le surplus de croissance que généreraient un accord et aussi la chance d’imposer des normes universelles. Ce projet soulève également de fortes oppositions aux Etats-Unis principalement de la part des Démocrates, moins libre-échangistes que les Républicains. Voilà encore un sujet qui alimentera les débats des prochains mois. La Commission vient de proposer un mode de règlement des différends par la mise en place d’une cour de justice paritaire afin de répondre aux objections élevées contre  le système d’arbitrage privé précédemment envisagé. On peut aussi se demander s’il ne conviendrait pas de mettre en cause, à l’occasion de ces négociations, l’application extraterritoriale du droit pénal largement pratiquée par les Etats-Unis.
L’affaire Volkswagen ne contribue pas à renforcer les positions de l’UE. Elle révèle le conflit d’intérêts résultant d’organismes de contrôle trop proches des entreprises. Cf les labos et l’agence du médicament.  Vw était-elle seule coupable ?

          La préparation du référendum britannique

Il se confirme que le premier ministre Cameron s’est tendu un piège redoutable. Pour éviter un isolement du Royaume-Uni qu’il ne souhaite pas, il devra démontrer à des Britanniques en majorité eurosceptiques qu’il a arrachés de réelles concessions à ses partenaires. Sans doute obtiendra-t-il l’abandon de telle ou telle norme jugée « technocratique ». Il lui sera plus difficile de justifier le droit de déroger au principe de non-discrimination dans l’octroi des droits sociaux aux ressortissants européens, ce qui ne peut que déplaire aux Etats d’Europe centrale et orientale. De même, il aura du mal à maintenir son droit de participer aux décisions de politique économique tout en abandonnant explicitement l’objectif d’adopter l’euro. On n’a pas suffisamment prêté attention à la contestation de la formule d’une « union sans cesse plus étroite » qui, à défaut d’être éliminée des traités, ne concernerait plus le Royaume-Uni. Cette revendication, tout comme le refus de tout pas en avant en direction d’une défense commune en dépit des circonstances qui en démontrent l’urgence, conduisent à se demander ce qui serait le pire : le Brexit ou le reniement de l’idéal européen.
L’élection inattendue d’un leader très à gauche, Jeremy Corbyn, à la tête du Labour accroit les chances du Brexit, notamment si Cameron obtient des dérogations en matière de droit social.

                    Une crise d’une exceptionnelle gravité

Je ne puis en conclusion que souligner la gravité de la crise présente. Les divisions apparues à propos de la marée des réfugiés et l’impuissance qui en résulte ont rendu plus virulents les ferments d’euroscepticisme qu’avait répandu la crise de l’euro. Mais cette fois nous sommes en présence d’un conflit de valeurs. Que chaque pays, sinon chaque personne, soit divisé contre lui-même n’est pas un réconfort. Ce qui éclate aux yeux des meilleurs observateurs, c’est le drame d’une intégration au milieu du gué, incapable d’avancer et menacée de dramatiques reculs. A mesure que s’éloigne le souvenir des guerres du XXème siècle et de l’oppression totalitaire, l’Europe n’apparait plus comme une promesse de paix, de liberté et de prospérité mais comme le champ clos des intérêts à courte vue de chaque Etat, et souvent de chaque région ou corporation. Le président de la Commission a su trouver les mots qui convenaient pour décrire le spectacle offert par le chaos de politiques nationales refusant de s’intégrer mais incapables de se coordonner. Le Parlement européen a réussi à réunir une large majorité en faveur des quotas de réfugiés. Mais bien faible est la riposte au flot de discours nationalistes qui déferle sur l’Europe. Dans le meilleur des cas, on se borne à reconnaître que les solutions ne peuvent être trouvées qu’au niveau européen. C’est l’honneur de notre association de participer à un effort pédagogique plus difficile mais plus nécessaire que jamais.
  Texte établi à partir de mon Observatoire de l'Europe pour ARRI (Association réalités et relations internationales).

           
  



24 août 2015

Un défi majeur

Platier 24 août. Angela Merkel considère que la question migratoire constitue pour l’Europe un défi majeur, plus grave même que celui posé par la Grèce et l’avenir de l’euro. Cette déclaration confirme le rôle de leader européen que s’est acquise la Chancelière par ses succès mais aussi comme résultat des défaillances de ses principaux partenaires. L’Allemagne envisage d’accueillir plusieurs centaines de milliers de demandeurs d’asile non sans susciter quelques réactions violentes de la part de groupuscules d’extrême-droite. Elle va trouver là, tout comme l’Italie et l’Espagne, un remède à sa panne démographique. Sa situation de quasi plein emploi, en fait de pénurie de main d’œuvre dans de nombreux secteurs, facilite les choses. Peu a été fait, en particulier en France, pour lutter contre le préjugé suivant lequel l’accueil des migrants serait une charge, à court terme peut-être mais pas à long terme, s’agissant notamment des réfugiés de Syrie qui appartiennent souvent à des catégories bien formées. On pourrait aussi s’inspirer de l’initiative italienne de revitalisation de villages dépeuplés. L’instinct de fermeture, le refus de la solidarité que traduisait la proposition de quotas, n’est pas seulement une honte pour les Européens, c’est aussi une occasion manquée, l’occasion de retrouver le sens d’un projet collectif répondant à nos valeurs.  

21 juillet 2015

Quel gouvernement économique pour la zone euro? Suite.

Platier, 21 juillet 2015.
Ce matin, Laurent Fabius a donné sur une radio une réponse à l’une des questions contenues dans mon message d’hier en indiquant que le contrôle démocratique de la zone euro pourrait être confié aux députés européens des pays membres de la zone plutôt qu’à une assemblée nouvelle.

Par contre, il n’a pas répondu à une question qu’à tort j’ai omis de poser hier. Quid de l’Exécutif ? L’expérience de l’eurogroupe que nous venons de vivre a démontré une fois de plus les impasses de l’intergouvernementalisme, chaque ministre ajoutant ses exigences sans vision globale. Ne conviendrait-il pas de désigner un ministre des finances qui serait en même temps vice-président de la Commission sur le modèle de la Haute Représentante pour la politique étrangère ? Président l’eurogroupe avec une autorité renforcée, il serait bien placé pour assurer une relation harmonieuse entre une zone euro définie comme une avant-garde et l’UE dans son ensemble. En présidant avec succès les derniers sommets de l’euro, Donald Tusk vient de montrer qu’une personnalité venant d’un pays n’appartenant pas à la zone euro pouvait agir dans l’intérêt de l’un et l’autre cercle, donc dans l’intérêt commun européen.   

20 juillet 2015

Quel gouvernement économique pour la zone euro?

            Platier, 20  juillet 2015
            Le président Hollande a saisi l’occasion que lui offrait la crise grecque pour formuler dans le journal du dimanche une proposition visant à corriger les failles révélées dans l’architecture de la zone. Intéressante, car elle vise une sortie par le haut, cette proposition n’en soulève pas moins plusieurs questions.
1.     Sur la notion de gouvernement économique. Cette formulation chère à la diplomatie française depuis Mitterrand et Bérégovoy, laisse supposer qu’un gouvernement économique pourrait être séparé de la politique. Plus fondamentalement se pose la question de savoir si la France serait disposée à se soumettre à des décisions contraignantes qui pourraient lui être imposées pour assainir ses finances publiques et rétablir sa compétitivité ?
2.     Sur la création envisagée d’un budget propre à la zone euro, Serait-il alimenté par des contributions nationales ou par des impôts européens qui, pour être acceptables, devraient se substituer à des impôts nationaux ? A quelles politiques communes serviraient ces ressources ? Le budget ne devrait-il pas prendre appui sur une mobilisation de la capacité d’emprunt de la zone, ce qui supposerait la création d’un Trésor européen ?
3.     Sur le contrôle démocratique dont la crise a démontré l’insuffisance, est-il judicieux de créer un parlement européen bis ? Ne serait-il pas plus simple de prévoir la possibilité pour les députés européens des pays membres de la zone euro de délibérer et de statuer sur le budget mais également sur les politiques propres à la zone euro ? Ne pourrait-on admettre la participation des autres députés à la délibération sans droit de vote, ce qui préserverait les droits des pays extérieurs à la zone mais appelés ou non à la rejoindre, ce qui répondrait à l’une des revendications de David Cameron ?

4.     Sur le recours à une assemblée composée de parlementaires nationaux. Paradoxalement une telle assemblée serait moins « européenne » que l’actuel Parlement européen, les parlementaires nationaux ne disposant que d’un mandat européen indirect que leur donne le contrôle des gouvernements. Pourrait-on réunir dans la même assemblée, comme certains l’envisagent, députés européens et parlementaires nationaux sans ouvrir une querelle de légitimité et sans affaiblir le contrôle démocratique que l’on souhaite renforcer ?

15 juillet 2015

Sorte de crise?

            Platier, 15 juillet.
            Les Grecs échappent à la faillite au prix d’une mise en tutelle rendue inévitable par leur comportement. Combien d’entre eux sont conscients d’avoir bénéficié de la solidarité de l’Union ? Voilà un thème qu’aurait pu traiter François Hollande se félicitant à juste titre de son rôle de médiateur. Le gouvernement économique qu’il envisage est un très ancien projet de la diplomatie française décrédibilisé par notre incapacité à respecter les décisions communes. Ce n’est pas d’un gouvernement intergouvernemental dont a besoin la zone euro mais, comme l’a dit récemment Trichet d’un arbitrage parlementaire qui pourrait être assuré par les députés européens des pays membres et d’un ministre des finances, vice-président de la Commission sur le modèle de la Haute représentante pour la politique étrangère. La négociation avec le Royaume-Uni pourrait être l’occasion d’un pas en avant dans une plus forte intégration de la zone euro à laquelle les Britanniques ne semblent pas opposés dès lors que leurs intérêts seraient sauvegardés.
            Les interrogateurs du Président ne l’ont pas interrogé sur le,défi migratoire toujours aussi pressant. Après avoir bruyamment refusé les quotas de demandeurs d’asile et de réfugiés proposés par la Commission, la France et l’Allemagne les ont acceptés en ce qui les concerne, ce dont il y a lieu de se féliciter. L’accord sur le nucléaire iranien obtenu après dix ans de négociations auxquelles l’UE a pris une part importante devrait permettre un renforcement de la lutte contre Daech devenu le principal facteur d’instabilité en Syrie-Irak et en Libye et par là même l’incitation à chercher refuge en Europe.

            Rarement l’Europe avait été à ce point le centre du débat politique, suivant des lignes de clivage inhabituelles. En dépit des frustrations provoquées par la lenteur de ses décisions et sa relative impuissance, le sentiment d’appartenance commune devrait s’en trouver renforcé.

06 juillet 2015

Un double échec

            Les deux défis qui faisaient l’objet de mon dernier message n’ont pas été relevés. Le refus d’une répartition équitable des réfugiés et demandeurs d’asile, notamment de la part de pays bénéficiant largement de la solidarité communautaire est tout aussi désolant que la totale incompréhension mutuelle qu’illustre le référendum grec. L’ancien président de la BCE Jean-Claude Trichet propose de donner un pouvoir d’arbitrage à une instance réunissant parlementaires européens et nationaux. Rien ne permet d’espérer que les gouvernements se plieraient à cet arbitrage non prévu par les traités dont on sait la difficulté de les modifier. Une nouvelle crise s’ouvre qui démontrera une fois de plus combien il est difficile de concilier puissance collective et maintien des souverainetés nationales. 

19 juin 2015

Les deux défis de l'été

           Platier 19 juin;

 A l’approche du solstice, l’Europe est confrontée à deux redoutables défis, celui de la migration, celui de la dette grecque. De sa capacité à les relever dépend pour une large part la sortie du pessimisme ambiant. Dans l’un et l’autre cas, sont à l’épreuve la capacité de décider et la solidarité. Si irritant soit le sentiment de céder à ce qui ressemble à un chantage, il serait absurde de mettre en péril l’euro et la sortie de crise pour la satisfaction de punir l’insolence grecque. Mon espoir est qu’une solution permettant aux uns et aux autres de sauver la face sera trouvée in extremis. Grace à l’autorité de Juncker, la Commission devrait, avec le soutien de la chancelière allemande et du président français retrouver la fonction de médiation qui devrait être la sienne, aussi bien concernant la crise grecque que la crise migratoire Son rôle est aussi de rappeler les exigences de la solidarité, valeur éminente de l’Union, solidarité humaine envers les victimes du terrorisme islamiste et des guerres civiles qu’il alimente, solidarité politique entre Etats membres de l’Union. Les querelles au sujet des quotas de  demandeurs d’asile paraissent dérisoires si on les rapporte aux millions de réfugiés, parmi lesquels les chrétiens d’Orient, cherchant à survivre dans le voisinage des territoires contrôlés par Daech : Turquie, Liban, Jordanie auxquels on peut ajouter le Kurdistan irakien qui, pour n’être pas un Etat reconnu, n’en est pas moins aujourd’hui le seul acteur qui ait démontré sa capacité et sa volonté de faire reculer la barbarie.

05 juin 2015

Intégration économique et union politique

            Paris, 5 juin 2015

            Les propositions des ministres Sigmar Gabriel et Emmanuel Macron en faveur d’une intégration plus poussée de la zone euro, notamment en matière budgétaire et fiscale, laissent espérer des initiatives propres à dissiper le malaise créé par les menaces de Brexit et de Grexit. Un soutien à la reprise venant de l’Europe serait le meilleur antidote à l’euroscepticisme ambiant. On ne peut cependant que s’interroger sur le décalage croissant entre les progrès de l’intégration économique et la paralysie de l’union politique. L’aggravation des menaces venant aussi bien de la Russie que du Moyen-Orient devrait provoquer une réaction. Or les possibilités prévues dans le traité de Lisbonne en matière de défense demeurent inexploitées en dépit des efforts de Mme Mogherini. Les restrictions budgétaires devraient imposer des mutualisations dans tous les domaines, en attendant que l’Union  se dote d’un budget de défense, seule solution efficace à long terme. 

26 mai 2015

Le refus des quotas, un comble d'hypocrisie

            Paris, 25 mai 2015

            La pression migratoire que les conflits d’Afrique et du Proche-Orient fait peser sur l’Europe explique sans les justifier les palinodies des gouvernements. Comment peut-on à la fois reconnaître l’obligation humanitaire de porter secours à des naufragés, la nécessité de répartir plus équitablement la charge de l’accueil et refuser l’instrument de cette répartition proposé par la Commission, à savoir la détermination, pour chaque pays, d’un quota déterminé en fonction d’éléments objectifs (population, revenu par tête, nombre de réfugiés déjà accueillis). Un moment saluée par le ministre de l’Intérieur comme répondant aux préoccupations françaises, cette proposition a été brutalement écartée par le premier ministre comme par plusieurs de ses homologues. Or sur un sujet aussi sensible, il est peu probable que, sans une proposition de la Commission et un vote majoritaire, les gouvernements réussissent à s’accorder sur la répartition d’une charge qui ne saurait reposer sur les seuls pays d’accueil. Face à l’extrême barbarie qui caractérise le comportement du dernier protagoniste connu sous le nom de Daesh, acronyme arabe d’Etat islamique on serait en droit d’attendre plus de résolution. Les projets tendant à combattre cette nouvelle forme de criminalité internationale et à détruire ou immobiliser les bateaux ne peuvent avoir d’effets immédiats. Faut-il en attendant renoncer aux secours ou laisser se développer un concours à celui qui recevra le moins de réfugiés ?

13 mai 2015

La question du West Lothian et l'Europe

            Platier, 13 mai 2015

            Pendant combien de temps les députés et les électeurs anglais accepteront-t-ils que les députés écossais, gallois ou nord-irlandais participent au vote sur des lois ne concernant que l’Angleterre alors que les députés anglais ne peuvent se prononcer sur les lois concernant l’Ecosse, le Pays de Galles ou l’Ulster ? Cette question posée jadis par un député de la circonscription écossaise de West Lothian se pose avec plus d’acuité depuis les transferts de compétence promis aux Ecossais par Cameron qui s’est engagé à lui donner une réponse. Celle-ci pourrait consister à priver les membres de la Chambre des Communes élus hors de l’Angleterre de se prononcer sur la législation ne concernant que la seule Angleterre. Si, comme il est probable, les négociations que Cameron veut engager avec ses partenaires de l'UE aboutissent à consolider, voire à élargir les dérogations dont jouit le Royaume-Uni, ne serait-il pas logique de priver les membres britanniques du Conseil et du Parlement du droit de se prononcer sur des législations ne concernant que la zone euro, l’espace Schengen et plus généralement les domaines faisant l’objet d’exceptions consenties au Royaume-Uni ? La même question se pose pour les autres pays à dérogations à moins qu’ils ne s’engagent à y renoncer dans un délai à déterminer. Il serait en effet peu raisonnable d’exclure par exemple les Polonais des délibérations concernant l’euro alors que leur intention est de rejoindre l’union monétaire.  

04 mai 2015

Les dérives d'Emmanuel Todd

            Paris, 4 mai 2015

            Dans plusieurs articles de journaux ou entretiens télévisés annonçant la publication d’un essai polémique dont le titre serait « Qui est Charlie ? », le sociologue-démographe Emmanuel Todd s’attaque aux manifestants du 15 janvier dernier. Cette quasi-unanimité nationale lui parait cacher une réaction inconsciente mais perverse d’hostilité envers la minorité musulmane. Ainsi se développe une controverse dont Libération d’aujourd’hui se fait largement l’écho où l’on retrouve curieusement la vieille opposition à propos de la construction européenne qui déchire notre pays depuis le débat des années 50 sur le projet de Communauté européenne de défense. Todd était trop jeune pour combattre la CED mais il s’est opposé vivement au traité de Maastricht et à la constitution européenne. Il se fait l'avocat de l'abandon de l'euro cause, selon lui, du chômage de masse imputable, en réalité aux rigidités de notre marché du travail. Sous l’apparence d’une empathie avec la minorité musulmane, ce qui insupporte Emmanuel Todd dans l’élan du 15 janvier, n’est rien d’autre que la communion d’un grand nombre de Français parmi les plus instruits avec les valeurs d’un monde européen et occidental affronté au défi de la barbarie.  

16 avril 2015

La dissuasion par le naufrage

            Paris 16 avril 2015

            Le naufrage de plus de 400 migrants en Méditerranée est un nouvel et dramatique témoignage de l’impuissance de l’Europe. Combien de victimes seront nécessaires pour que soient prises les mesures qui s’imposent : déploiement d’une flotte capable d’arrêter les bateaux peu après leur départ, négociations avec les autorités de droit ou de fait contrôlant le littoral, remplacement du système Dublin qui met les migrants à la charge du pays qui les a secourus par une répartition équitable entre tous les Etats de l’Union. Nous sommes ici en présence d’une situation où le refus des Etats de se dessaisir d’une part de leur souveraineté les conduit à adopter une attitude indéfendable au regard des valeurs européennes : l’utilisation de la menace du naufrage comme arme de dissuasion contre l’immigration illégale. Loin d’être félicitée pour son action humanitaire dans le cadre de son programme Mare nostrum, l’Italie a été accusée, notamment par Cameron, d’encourager le départ des candidats à la migration. Le programme Triton qui a pris la suite dans le cadre de l’Agence européenne Frontex n’est pas conçu pour venir au secours des naufragés, alors que c’est tout ce qu’il peut faire, et avec des moyens dramatiquement insuffisants. 

08 avril 2015

Actualité européenne

Paris 8 avril 2015

Voici le résumé de mon dernier exposé au club Europe d'ARRI.

Observatoire de l’Europe
Le printemps du sursaut ?

En ce printemps, l’Europe est confrontée à de redoutables défis sécuritaires tandis que les perspectives du retour à la croissance bénéficient d’une conjoncture exceptionnellement favorable malgré les difficultés persistantes du côté de la Grèce.

Les défis sécuritaires

          Un nouvel accord de cessez-le-feu a été conclu à Minsk le 12 février. Contrairement à ce que l’on pouvait craindre, l’UE a réussi à maintenir une certaine unité face à Poutine qui s’est manifestée par l’adoption de sanctions ciblées. Alors que Poutine redoute la force d’influence de l’UE, il est regrettable que l’Union n’ait pas été présente, en tant que telle, à Minsk. On aurait aimé voir le président du Conseil européen Donald Tusk aux côtés de la Chancelière allemande et du Président français. La complaisance pour l’agressivité moscovite des souverainistes des deux bords est une trahison des valeurs et des intérêts européens.

          La menace terroriste a pris une autre dimension depuis qu’Al Qaïda a été en quelque sorte relayée par un groupe criminel ultra-violent prétendant exercer une autorité étatique, celle d’un nouveau khalifa étendant son pouvoir sur une partie importante de la Syrie et de l’Irak et suscitant des déclarations d’allégeance venant de la Libye en guerre civile et du Nord-Nigéria où sévit Boko Haram. Les bombardements, pour l’essentiel américains, ont contenu Daech mais ne l’ont pas détruit. L’hostilité des Arabes sunnites à l’égard des chiites dominants en Irak explique l’incapacité de la Ligue arabe à affronter Daech sur le terrain, alors qu’elle combat les chiites au Yémen et redoute un éventuel accord sur le nucléaire iranien. Les hésitations occidentales face à l’incroyable imbroglio syrien complètent un tableau assez désastreux. Les Européens ne sont pas prêts à relever le défi de la sécurité. L’inaction du Royaume-Uni au Nigéria est, pour le moins, surprenante. Seule la France se révèle interventionniste. Elle regrette d’être seule dans le Sahel et en Centrafrique, mais ne tient pas à partager les décisions.

Les propos de Jean-Claude Juncker publiés dans le journal allemand Well am Sontag en faveur d’une armée européenne sont-ils révélateurs d’une prise de conscience ? La ministre allemande de la Défense Van der Leyen a approuvé le projet tout en le situant dans le long terme…
 
L’armée européenne n’est pas pour demain. En revanche, l’Europe ne pourra tarder à affronter un défi migratoire dont l’ampleur est décuplée par le chaos qui règne au Moyen-Orient, ainsi que dans plusieurs pays d’Afrique. Daech nous menace, en cas d’intervention en Libye, de lancer 500 000 malheureux à l’assaut du littoral européen. Une Europe qui utiliserait le naufrage comme arme de dissuasion trahirait une valeur essentielle. Un renforcement considérable des moyens de Frontex serait nécessaire pour endiguer le départ des migrants. La charge de l’accueil et de l’asile devrait être plus équitablement répartie.

Retrouver la croissance et l’emploi, lutter contre l’évasion fiscale, sauver la Grèce
         
          Une conjonction exceptionnelle, taux d’intérêt, niveau de l’euro, cours du pétrole, laisse espérer une reprise générale de l’activité dans la zone euro. Le plan Juncker est destiné à stimuler l’investissement. Son succès dépend des critères qui détermineront les choix des entreprises ou des secteurs bénéficiaires. L’élimination des obstacles qui fracturent le marché unique, en particulier dans l’énergie et les communications, devrait aussi y contribuer, tout comme la perspective d’une ouverture transatlantique à laquelle est supposé conduire la négociation avec les Etats-Unis d’un traité de partenariat connu sous le sigle TTIP. Ce projet, visant à unifier des normes dont on espère qu’elles s’imposeraient universellement, suscite une forte opposition, notamment en Allemagne et en Autriche. Les adversaires redoutent un affaiblissement des protections sociales et environnementales de même que l’arbitrage privé en cas de conflits que demandent les négociateurs américains. La Commission, qui est en charge des négociations, demande aux gouvernements de lui accorder dans les capitales le même degré de soutien qu’ils affichent à Bruxelles.

          La décision de la BCE de racheter les titres de créance détenus par les banques semble avoir été prise contre l’avis de la Bundesbank mais avec l’accord tacite de la Chancelière. Les opérations ont commencé en mars. Elles ont contribué, avant même leur entrée en vigueur, à la normalisation du cours de l’euro que nos exportateurs attendaient depuis longtemps.

          La révélation de l’ampleur des concessions fiscales consenties par le Luxembourg alors que Jean-Claude Jungker exerçait les fonctions de ministre des finances a suscité de forts remous. Cette affaire a contribué à créer un climat favorable à une lutte contre l’évasion fiscale des grandes firmes.

          Le gouvernement Tsipras issu des élections grecques du 25 janvier poursuit de difficiles négociations avec ses partenaires de la zone euro. Il s’agit d’obtenir un programme de réformes précis en échange d’une aide supplémentaire. Les Grecs ont obtenu que leur problème soit débattu au niveau politique. Ils se heurtent au refus de pays parfois plus pauvres qu’eux de les dispenser de l’effort communément accepté. Il n’est pas possible de prévoir l’issue de cette négociation. Est-il souhaitable qu’elle réussisse ? Certains en doutent car ils ne font pas confiance à la capacité, voire à la volonté de redressement du gouvernement Tsipras. Un Grexit n’en serait pas moins ressenti comme un échec de l’Europe.  

          La négociation bilatérale entre la Chancelière et le Premier ministre grec est un signe parmi d’autres de la position dominante de l’Allemagne. Celle-ci ne résulte nullement d’une volonté hégémonique mais de la faiblesse de ses partenaires. D’où viendra le sursaut ?

           

           

 

30 mars 2015

Adieu à Michel Albert

Adieu à Michel Albert
Michel Albert nous a quittés le 19 mars à l’âge de 85 ans. Il avait été victime en décembre d’une chute qui avait provoqué une hémorragie cérébrale. Avec lui disparait l’un des plus brillants avocats de la cause européenne, non de l’Europe impuissante des souverainetés étatiques mais d’une Europe fédérale limitée dans son champ de compétences mais disposant des moyens de décider et d’agir, telle que l’avaient conçue Jean Monnet et Robert Schuman.
 De modeste origine, il était un produit exemplaire de la méritocratie républicaine. Passé par Sciences Po et l’ENA, docteur en économie, il tenait sans doute en partie de ses racines populaires une exceptionnelle capacité d’écoute et d’empathie. Son caractère chaleureux n’était pas pour rien dans ses succès et dans l’influence qu’il put exercer en des circonstances diverses. Jeune inspecteur des finances, il assura, en 1959, le secrétariat général du groupe Rueff – Armand chargé de concevoir des réformes propres à favoriser la croissance économique. Déjà, parmi de multiples propositions qui suscitèrent de vives résistances, figurait la remise en cause du statut des taxis. L’exigence de la modernisation devait être, avec l’Europe, le fil directeur de sa brillante carrière. Je le connaissais depuis que nous nous étions rencontrés à l’inspection des finances. Nous partagions la même conviction que la construction d’une Europe unie serait la tâche de notre génération et contribuerait à la modernisation de la France. Après un séjour au Maroc où il créa une inspection des finances, il rejoignit les institutions communautaires en 1963. Après être passé par la Banque européenne d’investissement (BEI), il intégra les services de la Commission en tant que directeur des structures et du développement économique. Etant moi-même à Bruxelles depuis 1962, nous fîmes ensemble la douloureuse expérience de la dérive provoquée par la diplomatie du général de Gaulle dont nous admirions cependant la contribution au redressement de l’économie française et à la réconciliation franco-allemande. Le refus français du fédéralisme qui persista après la démission du général de Gaulle, alors qu’était levé le veto à l’adhésion du Royaume-Uni, ne permit pas que le premier élargissement de la Communauté s’accompagnât d’un pas en direction d’une Europe politique.
Le champ de réflexion privilégié de Michel Albert était l’économique et le social plus que le juridique et l’institutionnel. Il a été l’inventeur du modèle rhénan. Ainsi mit-il en lumière dans un ouvrage paru en 1991 sous le titre Capitalisme contre capitalisme qui connut un grand succès l’opposition qu’il discernait entre un capitalisme rhénan pratiquant dialogue social, cogestion et souci du long terme et un capitalisme anglo-américain soumis à la loi des résultats à court terme, où l’intérêt des actionnaires prime celui de l’entreprise. La crise née des abus de la finance aux Etats-Unis devait confirmer la pertinence de son analyse. Elle démontrait aussi que la maîtrise de la mondialisation n’irait pas sans la construction patiente d’un ordre supranational dont l’Union européenne était le modèle le plus accompli, si imparfait soit-il.
Dès les années soixante, Michel Albert avait eu l’occasion d’affirmer son engagement européen et humaniste, lors d’une collaboration avec Jean-Jacques Servan-Schreiber, éphémère leader du parti radical, auprès duquel sa faculté de séduction s’était exercée. Après avoir largement participé à la rédaction du défi américain,  best seller paru en 1968 sous la signature de JJSS, il affirma ses convictions dans Ciel et terre, manifeste du parti radical.
Nommé commissaire au Plan en 1978, il eut le courage de dénoncer auprès de Raymond Barre, Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing, le risque d’apparition d’un chômage de masse. Revenu quelque temps à l’inspection des finances, à la suite de l’arrivée de la Gauche au pouvoir, il fut nommé en 1982 à la présidence des Assurances Générales de France, récemment nationalisées, fonction qu’il exercera jusqu’en 1994.
Elu à l’Académie des sciences morales et politiques en mars 1994, il accède à la présidence de l’Académie en 2004 et exerce les fonctions de Secrétaire Perpétuel de 2005 à 2010. Son intérêt pour l’Europe se traduit par diverses contributions : sur le couple franco-allemand, la réception de Jean-Claude Juncker comme membre associé étranger, la France et la mondialisation, enfin l’organisation d’un cycle de Regards croisés sur l’Europe auquel j’eus l’honneur de participer sur le thème d’une réforme des Nations Unies inspirée par l’expérience européenne.
 L’engagement européen de Michel Albert et ses talents exceptionnels de pédagogue lui ont valu d’être appelé à participer à de multiples organismes voués à cette cause parmi lesquels l’AFEUR (Association française d’études pour l’Union européenne), l’ARRI (Association réalités et relations internationales) dont il était membre du comité de parrainage, la LECE (Ligue européenne de coopération économique), le Mouvement européen, la Fondation Robert Schuman, le CIFE (Centre International de Formation Européenne) dont il sera président en 2004, puis président d’honneur en 2006. Il était également président d’honneur de la branche française de l’Union européenne des fédéralistes (UEF France).
Les engagements de Michel Albert étaient indissociables d’une conviction religieuse à laquelle il était resté fidèle et qu’il partageait avec une épouse qui lui était très proche et qui contribua grandement à son rayonnement.

Oeuvres.





13 mars 2015

Jungker ose parler d'armée européenne

Paris, 13 mars 2015

Dans le journal allemand Welt am Sonntag le président de la Commission relance un concept oublié, celui d'une armée européenne comme réplique aux menaces de Poutine " On ne créerait pas une armée européenne pour l'utiliser immédiatement. Mais une armée commune à tous les Européens ferait comprendre à la Russie que nous sommes sérieux quand il s'agit de défendre les valeurs de l'UE " (propos ignorés de la plupart des media français mais rapportés par Arnaud Leparmentier dans le Monde  du 12 mars). Cette prise de position audacieuse a aussitôt suscité la colère de Farage leader de l'UKIP et d'un parlementaire conservateur. Mais elle a fait l'objet d'un commentaire intéressant d'Ursula von der Leyen ministre allemande de la défense: " Notre avenir, en tant qu'Européens, passera un jour par une armée européenne ". On attend les réactions des dirigeants français.

04 mars 2015

Faut-il souhaiter que la Grèce quitte l'euro?

          Platier, 4 mars 2015

          L’ancien Président Valéry Giscard d’Estaing qui fut en son temps l’avocat de l’entrée de la Grèce dans la Communauté européenne prône aujourd’hui le Brexit. Peut-on lui faire observer avec la déférence qui lui est due que seule est prévue par les traités la sortie de l’Union et non de la seule zone euro, et au dela de cette considération juridique, les très graves dommages qui en résulteraient pour la Grèce et pour l’UE ? Une Grèce incapable de payer des importations essentielles subirait un désastre humanitaire. L’UE ne pourrait y être insensible. Une nouvelle aide à la Grèce s’ajouterait aux pertes résultant du non remboursement de la dette. Plus grave serait le coup porté à la confiance dans l’avenir et l’irréversibilité de la monnaie unique. Le moyen de pallier le risque créé par ce qui apparaîtrait comme un redoutable précédent serait un progrès de l’intégration budgétaire et fiscale, notamment la création de ressources propres, auquel les Etats ne semblent guère disposés.

23 février 2015

La migration comme arme de guerre

          Paris, 23 février 2015


          Faudra-t-il que Daesh mette en œuvre sa menace de lancer des dizaines de milliers de boat people vers les côtes européennes pour que les institutions de l’UE et les gouvernements se décident à faire face collectivement à ce double défi guerrier et humanitaire ? Il convient de faire obstacle par tous les moyens diplomatiques et militaires au départ des embarcations depuis les côtes libyennes sachant qu’il serait humainement impossible de laisser sans secours les malheureux qui auraient réussi à embarquer. La charge de refouler ou d’accueillir des milliers de réfugiés ne peut être laissée à la charge principale des pays riverains de la Méditerranée. Ne faudrait-il pas introduire cette considération dans les discussions en cours sur la conformité des budgets, notamment grec et italien avec les exigences budgétaires européennes ? 

13 février 2015

Un accord sans l'Europe et sans garanties

          Paris 13 février 2015
          Ce matin, Hubert Védrine soulignait à plaisir dans sa chronique de France Culture que l’Europe institutionnelle n’était pour rien dans le nouvel accord de Minsk dont le mérite revenait seulement au couple franco-allemand. Il ne se demandait pas si l’exclusion des institutions européennes n’était pas l’un des objectifs de Poutine à qui l’on a fait ce cadeau sans contrepartie, pas plus qu’on n’a obtenu la moindre concession en échange de l’annexion de l’Ukraine. Sans doute l’entente Hollande-Merkel était-elle réjouissante. Ne boudons pas notre bonheur mais demandons-nous cependant si la présence de Donald Tusk président polonais du Conseil européen n’aurait pas renforcé la main des Européens. Comment se réjouir de la trêve sans redouter qu’elle connaisse le même sort que la précédente ? On peut prévoir que le statut de la zone décentralisée du Donbass ressemblera à celui de la Transnistrie, province théoriquement moldave mais de fait sous protectorat russe.

          Un nouveau drame vient de se produire en Méditerranée qui n’est pas à l’honneur des Européens. Nous en reparlerons !

28 janvier 2015

L'Europe après les attentats


 Observatoire du 27 janvier 2015

L’Europe après les attentats

          En ce début d’année, deux événements dominent l’actualité européenne, les attentats terroristes de Paris et les initiatives visant à dynamiser la croissance dans une zone euro menacée de déflation. On peut ajouter l’aggravation du conflit en Ukraine et le résultat des élections grecques.

Conséquences des attentats pour l’Europe

          La marche du 11 janvier  était une marche pour les valeurs européennes. La présence sans précédent des principaux dirigeants de l’UE aurait été plus significative si un plus grand nombre de drapeaux aux douze étoiles avaient été brandis par les marcheurs. Cela aurait compensé la gêne que l’on pouvait ressentir du fait de certaines présences. Les réactions populaires violentes à l’ultime caricature publiée par Charlie Hebdo, y compris dans des pays qui ont bénéficié de notre protection contre les islamistes appellent une réponse forte et solidaire des Européens.

          Trop peu a été fait pour développer la fierté d’être européens, pour mettre en lumière les bienfaits de toute sorte qu’apportait la construction européenne, alors même que ceux-ci ont été longtemps évidents. Un grand dessein ne peut se passer de symboles. Or ceux-ci ont été éliminés du traité de Lisbonne, satisfaction dérisoire donnée aux nonistes français et néerlandais de 1985, mais terrible aveu de renoncement.

          Quelles conséquences pour les politiques de l’Union ? La priorité devrait être une intensification des échanges de renseignements et la répression des incitations au terrorisme sur les réseaux sociaux. Occasion de renforcer Europol, Eurojust et le Délégué à la coordination de la lutte contre le terrorisme. Deux obstacles. La tendance de chacun à garder ses secrets, même à l’intérieur de chaque Etat. Les objections au nom des libertés, le désir de ne pas répéter les excès du Patriot Act. Où placer le curseur entre sécurité et liberté ? Il semble que le Parlement s’apprête à lever ses objections au fichage des voyageurs aériens (passenger name record). Un renforcement des contrôles à la frontière extérieure est la meilleure réponse aux invocations démagogiques et irréalistes au rétablissement des contrôles aux frontières intérieures.



Schengen, l’immigration et l’asile

          La libre circulation dans l’UE est un acquis auquel les citoyens sont attachés, notamment les jeunes qui, toujours plus nombreux, font une partie de leurs études à l’étranger, qu’ils bénéficient ou non d’une bourse Erasmus, ou y trouvent un emploi qu’ils n’ont pu trouver dans leur propre pays. Or cet acquis risque d’être mis en cause par l’incapacité des Européens à définir une politique commune en matière d’immigration et d’asile. Les opinions sont partagées entre la crainte d’une vague migratoire menaçant les systèmes sociaux et les identités et la compassion à l’égard des malheureux qui fuient, au péril de leur vie, des pays livrés à l’anarchie et à la guerre civile, sur fond de terrorisme islamiste. L’Italie, dans le cadre d’un programme appelé Mare nostrum a sauvé environ 160 000 naufragés avant de passer le relai à l’UE dont la solidarité se borne à déployer des navires dont la mission est de faire obstacle à l’immigration illégale plutôt que de secourir des naufragés. Face à la méthode nouvelle consistant à entasser des centaines de personnes sur des navires-poubelles abandonnés au large des côtes, l’Italie n’a pas d’autre choix que les accueillir, au risque de se voir non pas félicitée pour sa générosité mais accusée  d’encourager les vocations à la migration. L’UE dans son ensemble n’a accueilli qu’environ 4% des réfugiés syriens, les autres se répartissant entre Turquie, Liban et Jordanie. La France elle-même en a accueilli un nombre très limité.  Le règlement de Dublin imposant au pays d’entrée d’assumer seul l’accueil des migrants entrés illégalement sur son territoire est une entorse de moins en moins admissible au principe de solidarité européenne. L’évolution de la situation en Irak, en Syrie, au Yémen, en Erythrée, en Somalie, en Lybie ne permet pas d’espérer un ralentissement du flux de réfugiés ayant droit à l’asile.

          Un problème analogue de solidarité se pose pour la France qui assume, principalement en Afrique, des charges qu’elle aimerait voir partagées ou au moins déduites des déficits publics au regard de la règle des 3%. L’organisation d’une solidarité face aux périls extérieurs, hors OTAN, supposerait un cadre institutionnel, coopération structurée prévue par Lisbonne mais non utilisée, et un budget.  Le seul instrument incontestable de solidarité est le budget européen. En l’absence d’une compétence reconnue à l’UE en matière de sécurité extérieure et de décisions explicites du Conseil européen, il est difficile de parvenir à un accord de partage des responsabilités, notamment financières. Dès lors chacun doit assumer les dépenses correspondant à sa participation à des actions collectives. Ainsi en est-il de l’un des succès méconnus de l’Europe en matière de sécurité, l’opération Atalante de lutte contre le piratage au large de la Somalie. L’Europe-puissance que prétend souhaiter la France demeurera un rêve tant que n’existera pas un budget de défense ou, mieux, un chapitre défense dans le budget de l’UE qui, au demeurant, devrait couvrir non seulement les opérations militaires décidées par l’UE mais aussi et d’abord les dépenses de recherche en matière d’armes nouvelles et de moyens modernes de communication. Quels Etats y seraient disposés ? Sûrement pas le Royaume-Uni ! Mais quid de la France et de l’Allemagne ?   

L’énigme Poutine

          Les relations avec la Russie de Poutine donnent lieu, notamment en France, à un curieux débat. La politique des sanctions largement justifiées par les ingérences en Ukraine, pour ne pas parler de l’annexion de la Crimée, est contestée par une coalition qui réunit l’extrême gauche, l’extrême droite ainsi que quelques parlementaires de l’UMP. Au plan de la politique européenne, on peut regretter que l’accord d’association avec l’Ukraine ait été négocié sans tenir compte des liens historiques avec la Russie. Les différences de sensibilité entre d’une part, Polonais et Baltes, redoutant les tendances impérialistes de Poutine d’autre part Français et Allemands, soucieux d’éviter une aggravation du conflit n’ont pas fait obstacle aux décisions. La livraison des Mistral place la France dans une situation particulièrement difficile. En définitive, l’UE est en face du choix classique entre politique de principes et realpolitik. La propagande anti-occidentale violente et unilatérale en œuvre à Moscou ne plaide pas en faveur du compromis. La chute des cours du pétrole aggrave considérablement le poids des sanctions, au point que certains redoutent un effondrement de l’économie russe qui ne serait pas à notre avantage.

Les problèmes de la zone euro 

          Malgré une conjonction exceptionnellement favorable (baisse du pétrole, baisse de l’euro, stabilité à niveau bas des taux d’intérêt), la croissance demeure médiocre dans la zone euro alors que la reprise est vive aux USA et même au RU. Certains redoutent une déflation qui pourrait, par anticipations de baisse des prix enclencher un processus récessif.

           Face à cette situation deux initiatives : le plan Juncker, le plan Draghi. L’un et l’autre soulèvent la querelle de l’endettement. C’est aujourd’hui le principal sujet de désaccord entre économistes (libéraux contre keynésiens) et entre Allemagne et France. Pour les uns le poids excessif de l’endettement public nuit à la confiance et ralentit l’investissement. Il convient donc en priorité de réduire le déficit. Pour les autres, une réduction trop rapide du déficit, par l’augmentation des impôts ou la baisse des dépenses, ne peut que ralentir la croissance et rendre plus difficile la réduction du déficit et de la dette. Le bon compromis consisterait à combiner souplesse budgétaire et audace dans les réformes.

          Un autre débat, celui de la capacité d’emprunt de l’UE, vient se greffer sur celui de l’endettement des Etats. Les Etats sont endettés (France : 95% du PIB), l’Europe ne l’est pas. Dans une vision fédéraliste, un Trésor européen pourrait favoriser la croissance en empruntant pour financer de grands équipements ou encore des programmes d’innovation. Un Trésor européen supposerait un budget européen alimenté par des impôts européens. La résistance à cette réforme fondamentale est vive de chaque côté du Rhin, davantage pour des raisons de souveraineté en France, de rigueur financière en Allemagne. Peut-on durablement maintenir une monnaie unique non adossée à un Etat ?

          Le plan Juncker est une tentative de compromis : relance par l’investissement mais en faisant appel à la BEI (Banque européenne d’investissements) et en espérant mobiliser des fonds privés, grâce à la qualité des projets, voire à des garanties de l’UE. Vingt à trente milliards de fonds publics génèreraient plus de 300 milliards d’investissements, ce qui est peu à l’échelle de l’UE. La faisabilité du plan et son efficacité restent à démontrer.

          Mario Draghi avait promis de faire ce qui serait nécessaire pour sauver l’euro. Après avoir obtenu un feu vert de la Cour de Justice et, semble-t-il, un feu orange de Berlin, il a annoncé un programme massif d’achats de dette souveraine (60 milliards par mois pendant 18 mois, au moins 1140 milliards). Ce quantitative easing à l’européenne vise à favoriser la relance et à prévenir le risque de déflation. La mutualisation des risques de défaillance ne sera que très partielle, chaque banque centrale nationale en assumant 80%. Cette restriction à la solidarité destinée à rassurer l’Allemagne me parait théorique. On n’imagine pas que la BCE laisserait sans appui une banque nationale en difficulté.

          La reprise de la croissance, but commun de ces plans, suppose la poursuite des efforts de réduction des déficits, un retour de la confiance, mais aussi une meilleure exploitation par les Européens des opportunités créées par la révolution informatique.





Les élections grecques

          Il est trop tôt pour juger des conséquences des élections grecques. Les promesses de Syrisa et de son jeune leader charismatique Tsipras menacent un équilibre budgétaire péniblement acquis. Il n’est pas surprenant que les Grecs, très sévèrement sanctionnés pour les fautes de leurs dirigeants, éprouvent le désir d’une remise de peine. Les négociations en vue d’un nouvel allègement de la dette (étalement des échéances, baisse des taux d’intérêt) seront très difficiles, notamment par crainte d’un précédent encourageant un laxisme généralisé. L’accord passé par Syrisa avec une formation souverainiste et xénophobe laisse craindre une logique d’affrontement qui pourrait conduire à une sortie de la zone euro qui ferait perdre  à la Grèce le bénéfice des efforts qui lui ont été imposés et constituerait un mauvais signal pour la pérennité de l’union monétaire.

L’excès de réglementation

          L’une des premières décisions de la Commission Juncker a été le retrait d’une cinquantaine de propositions concernant pour la plupart l’environnement et la santé. Décision qui a immédiatement provoqué la protestation des écologistes. Il est vrai que les directives européennes irritent souvent, notamment quand l’administration nationale « en rajoute » dans la transposition. Le souhait de voir  l’Europe se concentrer sur les affaires majeures parait relever du bon sens. Il faut cependant rappeler que le niveau de protection de l’environnement, des consommateurs et de la santé publique ne serait pas ce qu’il est sans l’Europe. Exemples : les pots catalytiques, violemment contestés par Jacques Calvet, alors patron de Peugeot, les obligations imposées aux agriculteurs (herbages, protection des cours d’eau), Natura 2000 à quoi nous devons la préservation de nombreux sites naturels, les directives relatives à la sécurité alimentaire qui nous permettent d’exporter en Chine notre lait pour bébés, enfin la réglementation des produits chimiques contestée par l’industrie mais soutenue par l’opinion. Il est vrai que le jugement de l’opinion est sujet à des emballements irrationnels (OGM, nucléaire) qui varient suivant les Etats et paralysent l’action de l’UE. Celle-ci doit-elle s’intéresser à la chasse, au bien-être animal ?