03 octobre 2009

Enfin ! Réponse à Bertrand Le Gendre

Paris, 3 octobre

En ce début d’après-midi, nous apprenons que les Irlandais ont renoncé à retenir l’Europe en otage. Il reste à tordre le bras du président tchèque sollicité par Cameron de retarder le dépôt des instruments de ratification contre l’avis de son parlement et semble-t-il de son peuple. Il reste aussi à tirer les leçons de l’épisode irlandais pour aligner le mode de révision des traités européens sur la norme internationale qui exclut l’unanimité.

Bertrand Le Gendre annonce dans le Monde du 1er octobre la mort de l’Europe de Jean Monnet. Jacques-René Rabier, l’un des plus proches collaborateurs de Jean Monnet, a bien voulu cosigner avec moi la réponse suivante.

Non, M. Le Gendre, l’Europe de Jean Monnet n’a pas disparu avec le Mur

Gorbatchev nous a révélé que le succès de l’intégration à l’Ouest contrastant avec l’échec du Comecon de l’Est avait contribué à la démoralisation de la direction soviétique. La chute du Mur et, au-delà, celle du système d’oppression qu’il symbolisait ne fut pas la défaite mais la victoire de l’Europe de Jean Monnet, une Europe fondée sur l’adhésion volontaire de pays libres.
Que, faute d’avoir renforcé ses structures avant de s’élargir, l’Europe se soit diluée, qu’elle suscite moins d’enthousiasme, nous l’accordons volontiers à Bertrand Le Gendre(1). Mais les facteurs de progrès sont toujours là. Le défi climatique constitue, depuis Kyoto, pour les Européens, un nouveau moteur d’intégration et un champ d’influence exceptionnel à l’échelle du monde. La crise financière vient de montrer de manière éclatante le rôle protecteur de l’euro. Ne doutons pas que les défis de demain, à commencer par la construction d’une gouvernance mondiale dont la naissance du G 20, inspirée par l’Europe, n’est qu’un modeste embryon, ne nous donnera de nouvelles raisons de poursuivre sur la voie ouverte par Jean Monnet et Robert Schuman en 1950.
On oppose parfois artificiellement Europe supranationale et Europe intergouvernementale. Eloigné de tout dogmatisme, Jean Monnet n’a pas hésité à soutenir dans les années soixante-dix la création du Conseil européen, symbole de la coopération entre les Etats. Il n’en oubliait pas pour autant ce que lui avait appris son expérience à la Société des Nations, à savoir que si les hommes passent, les institutions demeurent et que l’exigence d’unanimité est source de faiblesse et souvent de paralysie. L’Europe du traité de Lisbonne, enfin sur la bonne voie, ne sera pas le décalque des fédérations historiques. Unissant des Etats et des citoyens, son mode de fonctionnement devra permettre une différenciation autorisant les plus ambitieux à aller de l’avant en attendant que les retardataires les rejoignent. Elle combinera des principes non contradictoires mais complémentaires qui en feront un type d’organisation sui generis, utile modèle pour une humanité globalisée. Opposer l’Europe de Jean Monnet et celle du général de Gaulle n’a guère de sens aujourd’hui.
Convaincre l’opinion éclairée, celle des jeunes et des intellectuels en particulier, qu’il s’agit là d’un grand dessein digne de susciter l’enthousiasme et de mobiliser les énergies, c’est hélas ce que les élites européennes n’ont pas su faire. L’ont-elles seulement tenté ? Ce n’est pas en annonçant à chaque occasion la mort du rêve européen que nous rendrons à nos concitoyens confiance en leur avenir collectif.

Jacques-René Rabier, proche collaborateur de Jean Monnet
Robert Toulemon, auteur du livre « Aimer l’Europe »

(1) Voir le Monde daté du 1er octobre 2009

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