30 octobre 2009

Identités multiples

Platier, 29 octobre
Le meilleur moyen de répondre aux critiques qui s’élèvent face au projet Besson de débat sur l’identité nationale consisterait à promouvoir le concept d’identités multiples et complémentaires. Promouvoir la seule identité nationale à l’encontre de toutes les autres ou même la privilégier à l’excès peut apparaître comme un encouragement au nationalisme. C’est en revanche enrichir l’identité nationale de montrer que dans le monde actuel elle ne s’oppose pas aux autres cercles légitimes et nécessaires de solidarité. La commune (éventuellement élargie), la région, la nation, l’Europe, l’humanité doivent être considérées comme autant d’espaces de solidarité dans le monde globalisé qui est le nôtre et qui fait face à des défis eux-mêmes globaux. Ce débat sur les identités devrait être l’occasion de mettre en lumière le rôle pionnier de la construction européenne dans l’invention d’un nouveau rapport entre nations à laquelle la France peut s’honorer d’avoir grandement participé.

23 octobre 2009

A propos d'agriculture

Platier, 22 octobre

L’octroi récent d’un complément d’aide de 280 millions d’euros aux producteurs de lait suscite plusieurs réflexions.
D’abord un regret pour la lenteur de cette décision alors que le prix du lait n’assure plus, depuis des mois l’équilibre des exploitations. Une fois de plus la politique européenne montre son manque de réactivité. On a continué à subventionner les céréaliers quand les prix des céréales leur assuraient des superprofits tout comme on a tardé à venir au secours des éleveurs.
Ensuite la constatation que le libre jeu du marché compensé par des subventions n’est sans doute pas la meilleure formule pour l’agriculture européenne. Une certaine régulation des prix et des quantités produites n’est guère évitable.
Enfin la prise en compte des impacts positifs ou négatifs de l’activité agricole sur l’environnement doit être beaucoup plus largement pratiquée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Au moment où les producteurs de porc font appel, à leur tour, aux aides européennes, le moment est venu de tirer les leçons de la catastrophe que représente la pollution des eaux et du littoral breton.

17 octobre 2009

Blair président du Conseil européen ?

Paris, 17 octobre

La candidature de Tony Blair à la présidence, non de l’Europe, comme on le dit parfois en France, mais du Conseil européen qui se réunit quatre fois par an, interpelle les militants européens. Les avocats de l’ancien Premier britannique font valoir son indiscutable charisme, sa notoriété en Europe et dans le monde. Les plus optimistes espèrent que sa nomination rapprocherait les Britanniques de l’Europe. Ils font valoir l’influence qu’aura l’autorité de son premier titulaire sur le contenu encore incertain de la fonction. Certains parlent avec Giscard, qui regrette que l’âge lui interdise de briguer le poste, du Washington européen appelé un jour à être élu au suffrage universel, ce qui en ferait alors effectivement le président de l’Europe.

Malheureusement cette candidature se heurte à d’énormes objections. La sympathie qu’inspire le souriant Tony Blair ne permet pas d’oublier qu’il n’a pas pris le moindre risque pour lutter contre une europhobie plus anglaise que britannique alimentée par une presse populaire ne reculant devant aucune forme de désinformation. Il n’a pas tenu sa promesse d’organiser un référendum en vue de l’adoption de l’euro. Son ancien ministre des Affaires européennes Mc Shane qui soutient sa candidature reconnait qu’il a plaidé éloquemment pour l’Europe partout sauf en Grande-Bretagne. Il a soutenu sans états d’âme la politique désastreuse de Bush en Irak. Tout cela devrait conduire à écarter sa candidature. Et cependant son échec au profit d’une personnalité inconnue du grand public risque d’être interprétée comme un échec de l’Europe et d’affaiblir la voix collective des Européens. Seule une campagne précédant une élection populaire serait la solution. En attendant, je ne vois qu’une figure susceptible de nous éviter d’avoir à regretter Tony Blair, celle de l’ancien ministre des Affaires étrangères allemand Joshka Fischer qui a su donner aux Verts allemands le sens des responsabilités internationales et dont on n’a pas oublié le discours à l’Université Humboldt. Dommage que Delors soit octogénaire !

12 octobre 2009

Contrastes polono-tchèques. Incertitudes allemandes

Paris, 12 octobre

Alors que le président tchèque Vaclav Klaus tente une ultime et lamentable manœuvre de retardement en subordonnant la signature du traité de Lisbonne à la demande d’une garantie contre tout recours des Allemands des Sudètes expulsés après la guerre que les Tchèques n’avaient jamais évoquée lors des négociations, deux bonnes nouvelles nous viennent de Pologne. La première est la signature du traité par l’eurosceptique président Kaczynski ; la seconde moins connue est l’annonce que la Pologne qui présidera l’UE au second semestre de 2010 donnera priorité à la défense européenne. Il s’agit d’un renversement de position significatif d’un pays qui ne croyait qu’à l’OTAN et qui a été déçu par le faible appui apporté par les Etats-Unis à la Géorgie et par l’abandon du projet d’installations anti-missiles en Pologne et en République tchèque. Cette affaire nous rappelle utilement que la création d’un président du Conseil européen à mandat prolongé ne met pas fin à la rotation semestrielle des autres présidences, exception faite de celle des ministres des Affaires étrangères.

Le Centre d’étude des relations franco-allemandes de l’IFRI (Institut français des relations internationales) a publié une excellente étude sur l’arrêt de la Cour constitutionnelle allemande relatif au traité de Lisbonne. Cette étude est disponible sur le site internet du CERFA : http://cerfa-ifri.org. Elle révèle l’intention des juges constitutionnels allemands de s’opposer à tout progrès nouveau d’intégration européenne dès lors que n’existe pas un peuple européen. Cette vision statique de l’Europe a donné lieu à de vives critiques de la part de personnalités politiques, notamment de l’ancien ministre des Affaires étrangères Joschka Fischer.

06 octobre 2009

Après le vote irlandais

Paris, 6 octobre
Le soulagement et la joie que nous cause le oui massif des Irlandais ne nous dispense pas d’un effort de lucidité. C’est à quoi nous invite Jean-Guy Giraud, créateur avec moi et animateur infatigable des Amis de la Convention devenus les Amis de la Constitution puis les Amis du traité de Lisbonne. Ceux qui n’en sont pas destinataires trouveront intérêt à la lecture de sa dernière « Brêve »



BRÈVE À L'ATTENTION DES AMIS DU TRAITÉ DE LISBONNE N ° 241




UN OUI... ET PLUSIEURS NON


La satisfaction - le soulagement - procurés par le retentissant OUI irlandais a curieusement provoqué, dans la presse et les milieux politiques français, une floraison d'éditoriaux et de déclarations parfois surprenants, voire contestables, auxquels il convient d'apporter des "bémols" immédiats - que les associations européennes ne manqueront pas de développer plus longuement dans les jours qui viennent ...



NON, le Traité de Lisbonne n'est pas une "boîte à outils qui permettra de clore le long chapitre institutionnel qui a dominé les débats depuis la fin de la guerre froide". Il s'agit bien au contraire d'une nouvelle étape - en fait tardive - dans l'édification d'une Europe dont l'unité, la solidarité et la force politique demeurent très insuffisantes tant vis-à-vis de ses citoyens que du reste du monde. Le Traité de Lisbonne n'est pas la phase ultime de l'évolution de l'UE : de nouvelles révisions seront nécessaires pour poursuivre la tâche historique de l'unification européenne et adapter l'UE à l'évolution rapide et imprévisible du monde contemporain (voir Brève n °240).

NON, l'opinion publique n'est pas en proie à une soi-disant "fatigue institutionnelle" : elle manifeste plutôt sa lassitude vis-à-vis de Gouvernements nationaux incapables de conduire rapidement et efficacement les procédures de ratification de traités qu'ils ont pourtant négociés et signés - grâce, disons le pour le Traité de Lisbonne, au remarquable travail préparatoire de la Convention supranationale (voir Brève n°233).

NON, la conception "directoriale" du gouvernement de l'UE n'est pas la bonne. L'UE ne peut pas être durablement dirigée par des "couples" de leaders nationaux, au demeurant aléatoires et éphémères. C'est inacceptable pour la quasi totalité des Etats membres de fait exclus des couples providentiels - mais c'est surtout incompatible avec la nature même de l'Union. Jean Monnet le disait ainsi : "Si rien n'est possible sans les hommes, rien n'est durable sans les Institutions car elles seules deviennent plus sages en accumulant l'expérience collective " (voir Brève n° 219).

NON, l'Etat membre le plus peuplé et le plus puissant d'Europe - l'Allemagne - n'est pas soudainement devenu eurosceptique du fait de quelques "obiter dicta" politiques introduits par une majorité des huit juges du deuxième sénat de la Cour de Karlsruhe dans leur décision (au demeurant positive) sur la constitutionnalité du Traité de Lisbonne. Non, le souci de l'Allemagne de préserver autant que faire se peut l'équilibre de ses finances publiques - et par la même celui de l'Euro dont elles sont le principal soutien - n'est pas une manifestation de repli national, tout au contraire. Non, les réticences allemandes vis-à-vis de l'approche directoriale du gouvernement de l'Europe ne sont pas un indice de tiédeur européenne : c'est l'inverse qui est vrai.

NON, l'écroulement du mur de Berlin n'a pas fait "deux victimes : Jean Monnet et Jacques Delors". Il se trouve au contraire que l'évolution du monde contemporain et du continent européen en particulier renforcent plutôt leur étonnante prémonition : la fin du totalitarisme communiste et la réunification pacifique du centre de l'Europe n'ont été rendus possibles que par l'existence d'une terre d'accueil - l'UE. Et elles ne s'avèreront durables que si se poursuit et se renforce "l'union toujours plus étroites des peuples européens" qui demeure l'objectif central voulu par les pères fondateurs et gravé au frontispice des traités de l'UE (y compris celui de Lisbonne, voir Note n° 276).

NON, l'élargissement de l'UE ne doit pas forcément conduire à sa dilution et son affaiblissement - pourvu qu'il soit conduit par une stratégie politique soucieuse tout autant d'accueillir dans l'Union de nouveaux membres bien préparés que de préserver sa mission première d'intégration politique interne. Une telle stratégie a cruellement manqué pendant le dernier quinquennat de la Commission au cours duquel une gestion administrative et incontrôlée du processus d'élargissement a largement prévalu (voir Brève n°205).

NON, le Traité de Lisbonne n'autorise pas le Conseil européen à choisir un futur Président qui ne s'engagerait pas publiquement à aider l'UE à " franchir des étapes ultérieures pour faire progresser l'intégration européenne " (Préambule du TUE) ou qui n'aurait pas l'autorité pour le faire ; non, le Parlement européen ne peut pas accepter de confirmer la nomination d'un Président et de membres de la Commission qui ne prendraient pas tout aussi publiquement un tel engagement.


La phase de mise en œuvre du Traité va s'ouvrir dès que les Présidents de deux Etats membres de l'UE auront accompli leur devoir de signature - ou se seront retirés. Il convient de l'accueillir avec espoir et optimisme après avoir démenti les objections et clarifié les doutes de bonne et mauvaise foi que suscitent toujours les grandes entreprises et espérances ...



Jean-Guy GIRAUD

03 octobre 2009

Enfin ! Réponse à Bertrand Le Gendre

Paris, 3 octobre

En ce début d’après-midi, nous apprenons que les Irlandais ont renoncé à retenir l’Europe en otage. Il reste à tordre le bras du président tchèque sollicité par Cameron de retarder le dépôt des instruments de ratification contre l’avis de son parlement et semble-t-il de son peuple. Il reste aussi à tirer les leçons de l’épisode irlandais pour aligner le mode de révision des traités européens sur la norme internationale qui exclut l’unanimité.

Bertrand Le Gendre annonce dans le Monde du 1er octobre la mort de l’Europe de Jean Monnet. Jacques-René Rabier, l’un des plus proches collaborateurs de Jean Monnet, a bien voulu cosigner avec moi la réponse suivante.

Non, M. Le Gendre, l’Europe de Jean Monnet n’a pas disparu avec le Mur

Gorbatchev nous a révélé que le succès de l’intégration à l’Ouest contrastant avec l’échec du Comecon de l’Est avait contribué à la démoralisation de la direction soviétique. La chute du Mur et, au-delà, celle du système d’oppression qu’il symbolisait ne fut pas la défaite mais la victoire de l’Europe de Jean Monnet, une Europe fondée sur l’adhésion volontaire de pays libres.
Que, faute d’avoir renforcé ses structures avant de s’élargir, l’Europe se soit diluée, qu’elle suscite moins d’enthousiasme, nous l’accordons volontiers à Bertrand Le Gendre(1). Mais les facteurs de progrès sont toujours là. Le défi climatique constitue, depuis Kyoto, pour les Européens, un nouveau moteur d’intégration et un champ d’influence exceptionnel à l’échelle du monde. La crise financière vient de montrer de manière éclatante le rôle protecteur de l’euro. Ne doutons pas que les défis de demain, à commencer par la construction d’une gouvernance mondiale dont la naissance du G 20, inspirée par l’Europe, n’est qu’un modeste embryon, ne nous donnera de nouvelles raisons de poursuivre sur la voie ouverte par Jean Monnet et Robert Schuman en 1950.
On oppose parfois artificiellement Europe supranationale et Europe intergouvernementale. Eloigné de tout dogmatisme, Jean Monnet n’a pas hésité à soutenir dans les années soixante-dix la création du Conseil européen, symbole de la coopération entre les Etats. Il n’en oubliait pas pour autant ce que lui avait appris son expérience à la Société des Nations, à savoir que si les hommes passent, les institutions demeurent et que l’exigence d’unanimité est source de faiblesse et souvent de paralysie. L’Europe du traité de Lisbonne, enfin sur la bonne voie, ne sera pas le décalque des fédérations historiques. Unissant des Etats et des citoyens, son mode de fonctionnement devra permettre une différenciation autorisant les plus ambitieux à aller de l’avant en attendant que les retardataires les rejoignent. Elle combinera des principes non contradictoires mais complémentaires qui en feront un type d’organisation sui generis, utile modèle pour une humanité globalisée. Opposer l’Europe de Jean Monnet et celle du général de Gaulle n’a guère de sens aujourd’hui.
Convaincre l’opinion éclairée, celle des jeunes et des intellectuels en particulier, qu’il s’agit là d’un grand dessein digne de susciter l’enthousiasme et de mobiliser les énergies, c’est hélas ce que les élites européennes n’ont pas su faire. L’ont-elles seulement tenté ? Ce n’est pas en annonçant à chaque occasion la mort du rêve européen que nous rendrons à nos concitoyens confiance en leur avenir collectif.

Jacques-René Rabier, proche collaborateur de Jean Monnet
Robert Toulemon, auteur du livre « Aimer l’Europe »

(1) Voir le Monde daté du 1er octobre 2009